F. J. Ossang : « Nous y sommes – C’est à dire : nulle part. »

Texte de présentation de FJ Ossang, écrit par Vincent Deville de la Cinémathèque Française, pour présenter L’intégrale provisoire de FJ Ossang au festival de Saint Denis (Février 2008) .

Avec Arthur Cravan, le poète-boxeur, Ossang partage la classe du nom d’artiste teinté d’étrangeté, la fièvre de la poésie et l’appel du lointain. Comme Cravan pouvait passer abruptement du monde de l’écriture et de l’édition marginale aux rings survoltés, et disparaître à l’autre bout du monde, Ossang déplace les scènes : écrivain, poète, musicien, il attaque l’art de tous côtés, comme une citadelle qui refuserait de se laisser prendre, et mène depuis plus de trente ans une guérilla esthétique contre les formes établies et cloisonnées : « J’ai beaucoup appris pour le cinéma en pratiquant le rock’n’roll », rock et cinéma étant tous deux particulièrement disposés à s’emparer des déchets et autres « résiliances » de la culture .

De ses écrits ( De la destruction pure (1977), Génération néant (1993)) au Trésor des Îles chiennes (1990), « un film mis en chaos par F.J. Ossang », le salut se trouve dans le désordre pour cet amoureux du verbe et de la dislocation du récit, durablement intoxiqué à l’œuvre de William Burroughs. L’Affaire des divisions Morituri (1984), son film de fin d’étude à l’IDHEC, recèle déjà de nombreux déplacements : le projet de court métrage imposé par l’école est détourné par son auteur en long ; les méandres d’une histoire opaque deviennent rapidement moins importants que ses motifs : pouvoir, complots, trahisons ; la musique, autre scène d’expression de la révolte, est composée par le groupe MKB, c’est-à-dire chantée et criée par F.J. Ossang. Sa technique est identifiable : occuper tous les espaces pour y allumer des foyers de confusion, dynamitant tout autant les habitudes plastiques et formelles que celles des codes de la production et de la diffusion du cinéma en France.

Après une trop longue disparition des écrans depuis son dernier long métrage Docteur Chance (1998), mais sans interrompe jamais la production souterraine (récits, poèmes, enregistrements sonores, conférences…), Ossang revient en force : avec  Silencio (2006), court métrage muet tourné en 16 mm noir et blanc, qui témoigne d’un retour aux origines et d’une nouvelle jeunesse du cinéaste (le film a obtenu le prix Jean Vigo) ; avec W.S. Burroughs vs formule-mort , un court essai qui, tout en présentant l’œuvre de l’écrivain américain nous plonge dans le style et la méthode de l’éminent représentant du cut-up ; et avec un nouvel album vinyl, Baader Meinhof Wagen , fraction dissidente de son groupe MKB Fraction Provisoire. Autant de condensés d’énergie, de mots et d’images qui visent et atteignent l’efficacité maximale.

Ossang est insaisissable, présent sur tous les fronts de l’art et de la planète : Chili, Nouvelle Zélande, Portugal, Venise, l’Argentine ou la Russie… « inassignable » à un lieu ou à une fonction. Après un repérage aux Îles Canaries, il est parti tourner son tout dernier court métrage à Vladivostok… et nul ne peut prédire où sera filmé la Succession Starkhov, son prochain long métrage prévu en 2008. Eternel exilé, apatride en son art (il s’identifie à un Indien perdu chez les cow-boys), Ossang partage plus que jamais les inquiétudes et préoccupations de Gombrowicz : « Mais n’oublions pas que l’Art est chargé et nourri d’éléments de solitude et de parfaite autonomie, c’est en lui-même qu’il trouve sa satisfaction et sa raison d’être. Une patrie ? Mais tout homme éminent, du simple fait de son éminence, est un étranger même à son propre foyer  ».

 

Vincent Deville

Entretien avec Nicole Brenez et Francine Lemaître, 22 septembre 2001.

Witold Gombrowicz, Journal .

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