Silencio dans Bref n°87

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FJ Ossang, le sang 999 du cinéma

Conspirateur vaudou du mouvement punk rock français, cinéaste et écrivain, FJ Ossang entame aujourd’hui une vie nouvelle. Après trois longs métrages singuliers (L’affaire des divisions Morituri, Le trésor des Îles chiennes et Docteur Chance), il renaît au travers de la forme courte. Ceux qui ont vécu avant l’an 2000 le savent : la dépense d’énergie brute des années 70-80 s’est éteinte. Aux côtés de FJ Ossang, nous avons vu nos utopies mourir, nous sommes entrés dans une zone inconnue, une “zona inquinata” pour reprendre l’un des titres de MKB Fraction Provisoire, le groupe du cinéaste qui officiait il y a un siècle. Punk is dead mais nous continuons à souffler sur un feu éteint. À travers ce retour au court (Silencio, Ciel éteint ! et Vladivostok), l’artiste cinéaste prend acte de la mutation radicale du monde, de la mort de nos images clefs, de la déliquescence C morbide qui hante notre mental. Aujourd’hui, FJ Ossang pratique un art magnétique (déconnecté ? expérimental ?) dont il semble aventureux, périlleux, de livrer une explication définitive. Chaque visionnage balaye celui qui l’a précédé, un plan insoupçonné annule une thèse ici avancée. Néanmoins, l’envoûtement agit selon des règles et une alchimie unique. Trouver une articulation, du sens (!), dans un monde qui n’en a plus, voilà toute la richesse, toute l’importance de ce cinéma au sang neuf.

Sur la route
L’œil rapace du landscape” (citation de Silencio) de FJ Ossang s’abreuve des images du monde, de l’univers, qui s’appréhende comme un éden inconnu. Le ciel flamboie. Est-ce la nuit ou bien est-ce le jour ? Un astre (la lune, le soleil ?) solarise et brûle la pellicule noir et blanc. Les couleurs (les gris, les noirs, les blancs) glissent. Le vent habite les plis de l’image. Il soulève des tourbillons de poussière, cisèle la mer, sculpte les paysages. Porté par un long travelling, l’objectif balance entre le ciel et le ravin. Nous sommes les visiteurs des films de FJ Ossang comme les passagers d’une voiture: attentifs, happés par nos pensées et traversés par la beauté du monde. Le lyrisme fulgurant d’un film comme Silencio cultive de nombreux points communs avec la prose ondoyante, l’écriture spontanée, de Jack Kerouac. La caméra portative 16 mm du cinéaste suit les virages d’une route, elle épouse le monde.

Ivresse du nihilisme
FJ Ossang organise ses films courts comme des collages. Les cadres s’y remplissent d’objets (avions, paquebots) et se vident. Les éléments, les symboles ou les images totems (phares forêts, dolmens, le numéro 666), les personnages apparaissent selon une logique rythmique musicale, du cut up ou de l’art scotch. Son art est celui du déplacement (de la route), du détournement (des images). Les cris répétés se muent en des chants de prière tandis que l’eau stagnante devient une piscine accueillante. La reddition situationniste résonne dans les films de FJ Ossang comme une consigne de vie : “La vie, la mort, le sexe, les bestioles, tout est pareil, nous dit Guy au début de Ciel éteint ! Lâche tout et saute.

Rêveries païennes
Aimanté par le monde, l’œil de FJ Ossang s’enracine dans la nature. Le soleil, l’eau, l’air, la terre conjugués, déclinés, multiples ou uniques, divers ou identiques, constituent le cœur de son œuvre. La lumière, qui souvent au cinéma manifeste une présence divine, semble ici une source d’aveuglement, d’éblouissement, d’émerveillement : contrejours, soleils noirs, coruscation dans une forêt. Le philosophe Gaston Bachelard a écrit la bible païenne de la terre, des airs, de l’eau et des rêves… Au long de ses études, l’auteur de La poétique de l’espace a écrit autour de la notion du miroitement : regarder la lumière directement et la recueillir ne revient pas au même. FJ Ossang l’a compris et compose ses œuvres avec des images vivantes, spontanées mais également avec leurs reflets, portes ouvertes sur les abîmes. Sans dialogue, Silencio n’en est pas pour autant silencieux. La composition industrielle des Throbbing Gristle nous plonge dans une espèce de récital de psaumes modernes. Hallucinants, ahurissants cinépoèmes de la lumière et du souffle, les courts métrages de FJ Ossang chantent un monde nouveau, ivre, dégénéré et nomade.

Donald James

Retrouvez dans Bref un entretien de FJ Ossang avec Jacques Kermabon et Adrien Heudier.

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