Serge Kaganski sur FJ Ossang, Les Inrocks

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Mordu Ossang

26/04/2013

ossang600

Regardez miroiter ces titres de films : L’Affaire des divisions Morituri ; Le Trésor des îles chiennes ; Dharma guns… Rêvez ces titres de livres : Tasman orient ; Ténèbres sur les planètes ; Hiver sur les continents cernés… Ah, c’est sûr, ça change de L’Elégance du hérisson, des Petits mouchoirs ou de Je vais bien ne t’en fais pas. F.J. Ossang ne fait partie de la galaxie des box-officiers, best-sellers et autres bankable stars du marché. Il vit, vibre et créé sur sa minuscule et solitaire planète, un splendide astre noir où scintillent des notions anciennes comme “électricité”, “pellicule”, des gros mots démonétisés comme “poésie”, sous l’égide de Mallarmé, Eisenstein, Burroughs, Murnau, Welles, Strummer… Il publie ces jours-ci Mercure insolent (La Fabrique du sens, Armand Colin), un texte insolent et mercuriel où il mêle journal de bord d’un cinéaste entravé, carnet de voyage aventurier, critique sauvage du système économico-culturel qui embourbe les artistes guerriers, essai cinématographique transfiguré par une langue de feu.

Entre mille considérations, Ossang prône la pellicule argentique contre le numérique. Réac F.J. ? Pfff, à l’ouest, ou au ciel, en tous cas bien loin de nos catégories et tiroirs étriqués. Décidant que le cinéma primitif est la pointe indépassée de la modernité, armé d’un verbe flamboyant comme seule vérité, samouraï propulsé par une colère totalement dénuée d’aigreur, Ossang nous téléporte dans les sphères de la fulgurance poétique et stylistique, à mille années-lumière des petites querelles terrestres anciens-modernes. Empêché par un système où les chaînes TV enchaînent les francs-tireurs de son genre, Ossang ne tourne pas. Alors il fait des livres. Où, tel un Django Unchained et vraiment déchaîné, il écrit, au hasard de 150 pages réverbérentes : “Si l’on eu recours au Cinématographe, c’est pour accélérer le monde à la façon du rock’n’roll… Défigurer l’instant pour qu’il écume, et détonne parmi les discours convenus !”. Ou encore : “À quoi bon voir ces films nauséeusement ‘réalistes’ fabriqués pour le découragement – ces ordures visuelles du non-être, après lesquelles chacun se remise dans son antre au lieu de bondir par le monde voir quoi peut en sortir, et nous démesurer…”.

Aller, une dernière secousse pour la route : “Temps mort pour la chimie cannibale : je me souviens 1989, quand l’on amena la caméra 35 mm Technovision sur le plateau des Açores, pour Le Trésor des îles chiennes… Ravage du cadre incroyablement large, ratissant tout sur son passage, vertige des tourelles d’objectifs en cinémascope, et démentielle appétence pour la pellicule noir et blanc dégorgeant des magasins : grise, lisse, vernie sur une face – brun clair beige et mate sur l’autre face… Je l’aurais dévorée, comme du chien enragé par une nuit de pleine lune équinoxiale… Autre siècle…“. Splendide livre électrique, convulsif, spasmodique, tellurique. Texte atomique, inspiré, qui décharge tellement d’images que c’en est aussi du grand cinéma. Mercure insolent. F.J. Ossang.

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