Serge Kaganski parle d’Ossang chez les Inrockuptibles

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Le monde à part du cinéaste expressionniste et punk Ossang

Alors que sort son nouveau film, retour sur l’oeuvre de FJ Ossang marquée par l’expressionnisme, le cut-up et le punk.

Cette semaine, retour d’une rare mais scintillante comète dans le ciel encombré du cinéma. FJ Ossang revient avec un nouveau film Dharma Guns, alors qu’une rétrospective lui est consacrée, montrant ses trois précédents longs métrages en copies neuves.

Originaire d’Aurillac, ce passionné de motos et de moteurs se destinait d’abord à devenir pilote, mais un accident lui met le corps en vrac à l’âge de 15 ans. Pas grave, il deviendra poète, dardant ses rayons en littérature, musique et cinéma. Côté livres, c’est la revue Cée, la création des Cééditions au mitan des 70’s, des recueils poétiques et des romans barrés, l’influence de William Burroughs, le compagnonnage du poète Claude Pélieu.

Fan de la symphonie industrielle des moteurs, Ossang fonde logiquement à la fin des années 70 les Messageros Killer Boys, alias MKB Fraction Provisoire, phalange punk indus à la croisée de Clash et des Throbbing Gristle, qui signera toutes les musiques de ses films. Car cet aventurier du cut-up, de la nuit et de l’électricité passe l’Idhec (l’actuelle Fémis) et fait de son travail de fin d’études son premier film, L’Affaire des divisions Morituri. Suivront quelques années après Le Trésor des îles Chiennes, puis Docteur Chance.

Des territoires rêvés…

Le cinéma selon Ossang, ce sont d’abord ces titres qui claquent comme des romans noirs, des machinations politiques, des BD d’aventures, des titres de faits divers. Dès le générique, on quitte le naturalisme, on embarque vers des territoires rêvés. Plus poétiques que narratifs, plus sensoriels que discursifs, ses films sont les fantasmes d’un captif amoureux, d’un cinéphile qui ne s’est jamais remis d’avoir découvert le muet, l’expressionnisme allemand, le modernisme soviétique, les films d’aviation, l’âge d’or hollywoodien, les séries B.

Avec ses moyens, sa famille d’acteurs (sa muse Elvire, le boxeur Stéphane Ferrara, Joe Strummer…), son énergie, son refus des compromis, Ossang mélange ses influences et les catapulte les unes contre les autres, recrache à la punk les images qui l’ont foudroyé, puis hanté. Il y a une dimension chamanique chez Ossang, comme s’il avait été visité par quelques cinéastes élus et n’en était jamais revenu. Prisonnier consentant de de ce panthéon mental, il en réverbère des flashes tel un conducteur électrique.

Comme chez tous les artistes irrécupérables et obsessionnels, le cinéma d’Ossang est résolument inactuel, ou éternel, en tout cas totalement autarcique, intensément personnel, irréductible aux modes, au commerce. Bien que propulsés par les envolées bruitistes contemporaines de MKB, les films de FJ Ossang sont destinés aux rêveurs, nostalgiques, romantiques, sensibles à la fragilité de la pellicule, à la rugosité vibratile d’une image granuleuse, au combat plastique entre ténèbres et lumière, à l’exotisme des noms et contrées lointaines. Car si les films d’Ossang sont un appel au voyage, c’est aussi parce qu’ils ne sont pas tournés en Normandie, mais au Portugal, au Chili, aux Açores.

Albums de Tintin réinvestis par la cold-wave, films de Murnau habités par des punks, expressionnisme à la Fritz Lang hanté par la catastrophe fasciste, le cinéma d’Ossang a peu d’amis dans le paysage d’aujourd’hui : peut-être Lynch, Grandrieux, éventuellement Maddin. Déstabilisant pour un spectateur habitué au ciné-roman, aux récits formatés, le cinéma d’Ossang procède par stimuli sensoriels prélevés dans la grande banque d’images de l’inconscient collectif. Archaïque et moderne, primitif et sophistiqué, rock et romantique, esthète et solitaire, tel est l’astéroïde Ossang.

Serge Kaganski

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