[CRITIQUE] 9 DOIGTS de F.J. Ossang (Chaos reigne)

Alerte anesthésie générale. La nuit, dans une gare, un homme prend la fuite. Sans bagages, sans avenir. Lorsqu’il tombe sur un pactole, les ennuis commencent. Une bande est à ses trousses, il finit otage, puis complice. Suite à un braquage raté, ils embarquent tous à bord d’un cargo dont le tonnage suspect est aussi volatile que mortifère. Rien ne se passe comme prévu – le poison et la folie gagnent le bord. Tous ces hommes pourraient bien être les jouets d’une machination conduite par le mystérieux «9 Doigts».

Un cinéma hypnotisant en quête permanente. On a déjà tout dit/tout lu sur F.J Ossang, sorcier du cinéma français à la fois réal, poète, musicien, créateur de la revue «Cée» dans les années 70. Mais on ne cessera de répéter à quel point son cinéma est beau, fragile, téméraire, précieux, tel un astre dans le cinéma français. Que l’on adhère ou pas, il ne ressemble à rien de connu. Dédaignant le naturalisme, rétif au formatage, amoureux des songes merveilleux. Aux tannants codes de la fiction classique lestés de cahiers des charges bien drastiques, Ossang répond par les insaisissables codes du rêve. Par les fulgurances, par les beaux effets de montage, par le noir et blanc expressionniste, son 9 Doigts, témoignant d’une esthétique résolument originale, nous envoûte autant qu’il nous déroute. À la fois lumineux (accessible) et opaque (abscons). C’est sa puissance et sa limite.
Au début, ça peut même coincer. Lors des premières minutes, les personnages sont autant perdus que nous autres spectateurs: dialogues ampoulés, déphasage avec le récit initial. Et ouvrir la bonne porte par laquelle entrer dans leur film n’est pas toujours chose évidente. Mais qu’importe, très honnêtement, tant la caméra de Ossang, libre et furieuse, emporte tout sur son passage façon bourrasque. Il s’agit, à travers les codes du whodunit, de fureter ailleurs, quelque part entre film noir, récit d’aventure et fable post apocalyptique, et, surtout, d’ouvrir une béance à l’imaginaire. Ainsi l’on comprend de mieux en mieux et finalement assez rapidement que, dans ce no man’s land féérique, les protagonistes avancent comme des fantômes dans un vaisseau-tombeau, cette cargaison maritime appelée «Marryat». Tous les repères spatio-temporels, les leurs et les nôtres, s’effondrent, nous sommes alors dans un espace mental labyrinthique. Et c’est si beau, si bon de se perdre dans pareilles trouées fantastiques. Pour le plus grand plaisir des cinéphiles, Ossang convoque des fantômes du passé. Melville, Murnau, Franju – avec, au passage pour ce dernier, cette idée pour le dernier qu’il faut ouvrir une brèche dans la chair du réel pour faire éclore l’imaginaire. Chez Ossang, le monde est une bataille, bataille de genre, bataille contre l’ordre, bataille de la bataille. Le monde est malade, le cinéma son remède. Du cinéma d’esthète, hors-système, à l’insolente poésie industrielle. Soit on admire, soit on s’énerve; dans les deux cas de plus en plus. Mais l’on ne saurait vous conseiller de faire le test en salles de ce revigorant film-poème aux allures d’élégie, il promet de vous estourbir pour mieux vous faire traverser les limbes. Franchement, ce n’est pas rien.

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