Conversation avec FJ Ossang – Pop en Stock

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Conversation avec F.J. Ossang. Dix questions arrachées au chaos

Crédit: (@ Pierre Roussel)

Soumis par Simon Laperrière le 08/02/12

 

Cinéaste de l’extrême, F.J. Ossang s’est mérité ce titre dès L’affaire des divisions Morituris, son premier long métrage réalisé en 1984. Le réalisateur d’origine française y expose déjà son univers bien à lui avec un cocktail molotov de polar et de science-fiction où se croisent des références à l’impressionnisme d’Epstein, à la musique punk et à Burroughs. Les films qui suivront, Le trésor des îles Chiennes (1990), Docteur Chance (1997) et Dharma Guns (La succession Starkov) (2010) lui servent de laboratoire où narration, esthétique, poétique et histoire du cinéma sont confrontées à l’énergie beatnik, le carburant de l’artiste qui oeuvre également en tant qu’écrivain et musicien.
Suite à son passage à Fantasia l’été dernier, où il a, en plus de présenter Dharma Guns, participé à une table ronde sur le cinéma de l’extrême, Pop-en-stock est allé à la rencontre du cinéaste. Pour revenir sur ses films, ses thèmes et obsessions, mais également pour discuter des transformations technologiques que connaît actuellement le cinéma.
Il est possible que certaines réponses du maître surprennent. N’oublions pas que, comme George Méliès, F. J. Ossang est avant tout un magicien. De l’image et du son, du récit et du montage. Jamais il ne dévoile ses trucs, préférant plutôt  disparaître dans la fumée.
Dharma Guns (La succession Starkov)
Deux questions d’actualité en guise de commencement. D’abord, un journaliste vous a récemment décrit comme le successeur de Raul Ruiz. Un joli compliment, mais aussi, il me semble, une conclusion hâtive découlant d’une difficulté qu’ont les critiques à situer votre œuvre. Où vous positionnez-vous dans le paysage cinématographique contemporain, plus spécifiquement dans celui du cinéma français?
Raul Ruiz a bien sûr compté parmi les cinéastes du renouvellement pour notre génération au début des années 80 en France et en Europe quand des films comme « L’Hypothèse du tableau Volé » ou « Les 3 Couronnes du Matelot » sont apparus sur l’horizon — revisitant Welles, Cocteau, le film d’aventures ou l’énigme policière pour en exhumer une syntaxe cinématographique propre à son baroquisme… Il a certainement redonné une vitalité à l’attente des films… Quant à me définir précisément dans le cinéma français, c’est difficile… Outre que mes films parlent français, j’ai d’abord été attiré par le cinéma comme langue de Babel!
Voyages dans l’espace, et dans le temps…
Autre manchette marquante, nous assistons actuellement au crépuscule de la pellicule, autant sur le plateau de tournage que dans la salle de projection. Comment l’amoureux du nitrate en vous perçoit-il ce mouvement? Rupture? Finalité? Continuité?
Il est vrai que le cinéma « cinématographique » m’a toujours procuré une excitation quasi-sexuelle – organique… «Le réel qui rêve du réel»…  Le cinéma « virtuel » me semble ontologiquement différent – toute la dimension païenne du cinéma argentique, son culte de la lumière quasi-mazdéen, l’utopie et le prodige du montage d’une réalité en déportation — soudain s’évanouissent, pscchiitt!… Le numérique est d’abord un ‘coup’ techno-économique —  « irrationnel »… Le prix d’un film n’est pas seulement généré par le support de tournage: sans parler du cachet des acteurs, des techniciens, des charges sociales. Il y a tant de frais incompressibles (électricité, machinerie, décoration, post-production)… Le vrai problème risque d’être le démantèlement brutal de l’industrie cinématographique, et la perte de toutes les compétences propres à son premier siècle d’histoire… Mais si le cinéma « ferme », que le whisky est prohibé, il faudra bien passer  au « canada dry » – quitte à le relever d’eau de cologne… Que sera sera…
Avez-vous considéré l’idée de vous tourner vers le numérique?
     
Le statu-quo entre argentique et numérique me semblait prometteur d’un bond en avant – possibilité de mixer différents formats, du 35 mm au Super-8 via la vidéo… L’éradication industrielle de l’argentique me semble une aberration, d’autant que le numérique ne garantit aucune conservation… Mais la video m’a intéressé dés son apparition… Everything is possible ?!
Stanley Kubrick aurait affirmé que le plan d’ouverture d’un film se doit d’être le meilleur. Votre dernier film, Dharma Guns (La succession Starkov), le confirme avec cette incroyable séquence de ski nautique où un furtif plan en couleur laisse place au noir et blanc. Comment avez-vous conceptualisé cette introduction?
Je voulais que la première séquence fasse entrer dans le film comme sous l’effet d’un choc, tout en délivrant déjà certains codes : les cycles de l’eau, la couleur comme illusion vacillante d’une réalité toujours déviée, le voyage «immobile» – le minimalisme de l’image, l’organicité du son… J’ai réalisé cette scène vers la fin du tournage, et ne disposant d’à peine une demie-journée au lieu de deux jours, j’ai tenté d’aller à l’essentiel — la nécessité fait loi, et sens… Le cinéma est aussi une expression hyper-matérialiste…
J’ai l’impression qu’elle synthétise les enjeux du récit à venir tout en se suffisant à elle-même. Il y a après tout une cassure entre cette séquence et le reste du film. Comment s’est opérée cette dualité ?
          
« J’ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan! » (Rimbaud)
À quel moment dans le processus de création avez-vous choisi d’incorporer la pièce « War Pimp Renaissance » de Lard? Elle semble écrite pour votre
J’ai toujours adoré ce titre de Lard. Il figure déjà en ouverture d’un récit publié de 2000 — « Le Ciel Eteint ». Il a toujours été dans mon intention de placer « War Pimp Renaissance » sur la séquence du ski nautique… Il a fallu tourner la scène pour en vérifier l’intuition (!) — comme souvent…
Ce qui me mène au travail référentiel dans vos films. Autant musicalement que cinématographiquement, votre filmographie fourmille en clins d’œil à des artistes, des écrivains, mais aussi des procédés techniques. Cependant, contrairement aux cinéastes post-maniéristes, vous ne leur rendez pas véritablement hommage, les filmant plutôt comme s’il s’agissait des résidus d’une époque dépassée par un chaos ambiant. Pourquoi la mélancolie plutôt que la nostalgie?
Oh, nostalgie du futur, plutôt que mélancolie… Je trouve naturel de convoquer dans mes films ce qui me fait rester en vie, ou concevoir le futur – les Indiens du Mexique savaient que « Ce qui se faisait il y a très longtemps et qui maintenant ne se fait plus, une autre fois se fera une autre fois sera ainsi… Ceux qui vivent aujourd’hui, une autre fois vivront, une autre fois seront.» Part Maudite, plutôt que résidus… Le futur provient toujours de la Dépense… «Trop de bruit dans la tête pour savoir celui qui meurt, celui qui tue» — faisons un film, l’avenir dira…
Le décalage entre soi-même et le monde extérieur est un thème central dans votre filmographie. Ayant vous-même énormément voyagé, à quel point votre propre expérience de l’exploration de pays étrangers s’exprime-t-elle dans votre œuvre?
Le voyage fournit souvent la distraction suffisante pour être soi… Michaux a bien montré comme l’on voyage avec son propre monde… J’aimais dire autrefois : Quand on aime le voyage, on fait des films… J’aime être un étranger quand je tourne un film… N’être rien – pour mieux voir… Pouvoir dire : Je veux le monde, et tel quel! Dénaturer, désocialiser, déterritorialiser…
Vos films semblent signaler l’avènement d’un apocalypse culturel et esthétique. Comment percevez-vous l’avenir ?
Babylone’s burning! Ah, ah, ah…
La solution peut-elle être autre qu’une fuite? Je pense ici à Docteur Chance qui s’échappe par la voie des airs et Starkov qui se réfugie dans la mort.
Cours, cours, Camarade!… Le vieux monde est derrière toi!…
Entretien réalisé sur les sentiers du virtuel le 21 novembre 2011. 
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