RETROSPECTIVE DES FILMS DE F.J. OSSANG A LA CINEMATHEQUE FRANCAISE LES 17-18-19 MARS 2018

Le programme ici sur le site de la cinémathèque

Et la magnifique présentation qui en est faite

Hurlements à l’agonie de la lumière : le cinéma de F. J. Ossang

À la fin des années 1970, F. J. Ossang crée la revue littéraire Cée, puis les Céeditions qui lui permettent de publier des textes, entre autres, des poètes Beat William Burroughs et Claude Pélieu, ainsi que du trop peu connu Stanislas Rodanski. L’un des premiers opus qu’Ossang signe est un pamphlet poétique et programmatique, De la destruction pure, le cri d’une génération née désespérée qui trouve dans la poésie l’ultime recours et ressort. L’œuvre écrite se poursuit, à travers une vingtaine de livres, jusqu’en 2015, avec Venezia Central qui mélange poésie en prose et en vers, des textes éclatants où la beauté s’extirpe du chaos du monde. Mercure insolent, autopsie d’un film à venir, est un sommet poétique où le conditionnement matériel d’un cinéma en détresse convoque Hölderlin, et mène le poète à s’écrier : « À quoi bon des cinéastes ? »

Le chant rebelle

À 23 ans, F. J. Ossang intègre l’IDHEC, où il dirige deux court métrages, La Dernière énigme et Zona inquinata. Dans son premier long métrage, L’Affaire des divisions Morituri (1985), la rémanence des avant-gardes soviétiques, à travers un montage hypnotique et halluciné, fait l’effet d’un hapax insolent : des gladiateurs de l’ombre, menés par l’insaisissable Ettore (F. J. himself), se confrontent à un puissant complot bourgeois. On y trouve des allusions à la rage irréconciliable de la Fraction Armée Rouge aussi bien qu’aux cris de la scène post-punk. Et pour cause : ces gladiateurs voués à la mort sont interprétés par les membres d’un groupe proche du réalisateur, Lucrate Milk.

Musique et cinéma sont à jamais indissociables : dans le troisième long métrage, Docteur Chance (1997), Joe Strummer, ancien leader des Clash, joue le rôle de Vince Taylor. Seul film en couleurs de toute l’œuvre jusqu’à aujourd’hui, inspiré à la fois de Pandora et de Solaris, ce road movie aux tonalités ardentes mélange polar et aviation sur les routes interminables d’un désert chilien transfiguré par le rock industriel de MKB (Messageros Killers Boys), dont Ossang est l’un des membres fondateurs. Racontant de manière elliptique les aventures d’un écrivain raté qui fuit d’anciens complices, le film atteint, comme le souhaitait son auteur, la « pureté coupante et confusément colorée d’un poème de Trakl ». Les sons abrasifs du noise’n’roll se mêlent à l’âpreté des trompes tibétaines dans Le Trésor des îles Chiennes (1990), véritable film des années 1920 tourné en CinemaScope. Ce récit d’anticipation hanté par une catastrophe nucléaire et la recherche d’une nouvelle source d’énergie (l’Oréon), montre encore une communauté d’hommes sans passé, téméraires et avides qui entrent dans le royaume des morts par effraction. Il déploie une narration ponctuée d’intertitres poétiques, l’un des sceaux de toute l’œuvre d’Ossang, comme un triomphe des puissances encore prégnantes du Muet et servant à créer des « rythmes d’agression psychique ». Le paysage magistralement filmé en noir et blanc par Darius Khondji est la terre mythique de la nuit rouge à perpétuité, un lieu d’ancrage de plusieurs fictions : les Açores. Seules ces enclaves volcaniques aux ciels de calcédoine permettent de représenter la force tellurique d’un monde minéral qui s’étiole dans un maelstrom atomique où l’on passe, clandestinement, en enfer. Ce lieu énigmatique et protéen où les rayons lumineux infléchissent est aussi celui de l’hypnotique court métrage Silencio qui, suivi des autres courts Ciel éteint ! et Vladivostok, constitue la « Trilogie du Paysage ».

La loi des fantômes

Les récits intuitifs d’Ossang explorent aussi des états limites de la conscience : dans Dharma Guns (2010), un homme est mené, à la suite d’un accident, aux confins de sa propre perception. Film noir, film d’amour, film de science-fiction : ce trip ultime les contient tous, puisque les impulsions existentielles, fulgurance et mort, sont traitées comme des chocs électriques. Et pourtant : entre vitesse, cadrages audacieux, moteurs et paysages à couper le souffle, une femme impassible traverse l’espace, qui semble briser la ligne d’horizon par son mystère. La figure silencieuse d’Elvire est, de film en film, tout à la fois symbole de perdition et de grâce. Dans 9 doigts (2017), c’est à Nowhereland qu’il s’agit d’accoster : une île à la dérive, terre de nulle part où vont s’échouer les splendides nautoniers des limbes, unis comme les doigts de la main. Parmi eux, Magloire, interprété par Paul Hamy, qui porte en lui la langue ardente et opaque du poète haïtien Magloire-Saint-Aude, son hermétisme et sa révolte, au large d’une mer polluée de déchets toxiques impalpables. De la pulvérulence des Açores à la stridence hypnotique des intérieurs d’un vaisseau fantôme, ce dernier opus témoigne, comme l’ensemble des films, poèmes et chansons d’Ossang, d’un monde malade. Entre complots et paranoïa, entre Les Chants de Maldoror et Antonin Artaud, tout pousse l’auteur à vociférer, en guise de générique de fin, un simple et terrible constat : « All my fucking friends are fuckind dead! » Par éclats, Ossang dépeint la grandeur du cinéma : à la démesure narrative d’un conteur baroque répond la puissance plastique de symphonies post-industrielles, deux éléments rares dans le panorama contemporain. Son cinéma peut, comme il le dit de l’œuvre de Guy Debord, contenir à lui seul le « point froid incandescent » de toute une époque. Il nous hurle ainsi, avec une délicatesse étonnante, une eulogie hypnotique pour le cinéma, tout en montrant, d’un noir à l’autre, que si la destruction guette l’homme, le chaos le façonne.

Gabriela Trujillo

 

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