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  Christophe Petchanatz

  Nouvelles du pays des morts.

 


   



   

n lui a demandé tout de suite comment il était venu là. Ça ne se fait pas, mais il nous fallait une explication. Et quand il nous a raconté qu’il était au pied d’un immeuble, avec son corps désarticulé sur le trottoir et des éclats de verre partout, on a compris que ce n’était pas lui mais son reflet que j’avais rencontré. De mémoire de nous tous, une telle méprise ne s’était jamais vue. Mais nous n’avons guère de mémoire, je crois que je l’ai déjà dit.

J’ai rêvé que j’étais morte. J’étais dans mon cercueil, il remuait, il sortait de la tombe, son couvercle s’accrochait à la grille et tombait, je revoyais le jour. Mon cercueil avait maintenant des roulettes, il partait sur la route, je savais que j’allais voir les miens et je me faisais du souci parce que je ne savais pas du tout dans quel état j’étais et si je n’allais pas leur faire horreur.

Je trouvais une petite fille qui dans mon rêve était ma mère enfant. Je la voyais d’en bas, le ciel était très bleu, presque bleu-marine et son visage très rouge, sans expression particulière. Ensuite, il y avait tout un groupe autour de moi et les uns disaient qu’il fallait me soigner et mon frère(?) pensait que ce n’était pas la peine ; il disait qu’il fallait m’abattre.

Et tout d’un coup, je me suis retrouvée debout à côté de mon cercueil et j’ai vu les miens en vrai (dans mon rêve) et moi dans un suaire, toute souriante mais comme sourit un mort. Et à ce moment, comme j’essayais de reconnaître ma mère, je me suis réveillée.

C’était la première fois que je me réveillais dans le noir. Ça fait bizarre. C’est aussi la première fois que je rêvais. Ça ne me plaît pas. Rêver doit être pour les vivants.

Pour me rendormir, je me suis fabriqué une comptine. — Ça dit :

“J’ai décidé de pas m’en faire Et je dors volets grands ouverts Et la fenêtre bien murée”.

Ça a marché.

Quand je me lève, j’aime bien regarder l’inscription qui est sur la pierre, avec mon nom et deux dates. Je la relis toujours avec le même plaisir. Il faut dire que je n’arrive jamais à m’en souvenir.

Une chose m’étonne toujours ici, c’est l’alternance du jour et de la nuit. La journée est toujours la même, ce qu’on aurait dit là-bas une belle après-midi d’été. Pourquoi cet éternel après-midi doit-il être coupé par une nuit qui le découpe en jours? pourquoi nous retrouvons-nous à intervalles réguliers enfermés chacun dans notre chez nous et endormis sitôt dans le noir? Aurions-nous besoin de sommeil?

Je ne demanderai rien aux autres. Ça ne se fait pas et c’est se conduire en mauvais mort que de s’inquiéter de son sort. Ce qui n’est pas sans m’inquiéter sur mon sort. D’ailleurs il n’y a personne à interroger. Nous n’avons ici ni Dieu ni ses anges. Ce n’est sûrement pas le paradis. Pas encore? (En tout cas, qu’est-ce qu’on y est bien!)

S’il m’arrive encore de me réveiller dans le noir, j’aimerais bien quand même essayer de me lever et de sortir.

Il y a eu presque de l’agitation hier dans notre quartier. Tout un groupe de nouveaux gesticulaient devant le monument. Nous, du coup, on les regardait à distance. On est très gentil avec les arrivants parce qu’ils sont dociles, mais ceux-là avaient l’air mécontent. Qui les avait reçus? Apparemment personne. Avaient-ils passé la nuit dehors? Je les regardais soudain avec une intense curiosité.

Nous ne savons trop que faire. Mais on ne peut pas rester à se lorgner à distance. Un des nouveaux s ’approche en députation. Rémi va à sa rencontre. Il se montre plein de ressources, en rajoute dans le théâtral, donne l’accolade au député, l’amène jusqu’à nous. “Voici Jean-Luc. Il était le chauffeur d’un car qui a eu un accident.”

Les autres s’approchent et chacun de nous en prend un à part. je me trouve une fille de mon âge, Héléna.

Sans nous être donné le mot, nous emmenons chacun dans sa nouvelle demeure. Il y a un nouveau quartier tout neuf. C’est là que nous allons. Nous fermons les portes sur eux, c’est le soir, à demain matin. Pour nous c’est encore le matin. Mais nous préférons nous disperser sans trop parler. Il y a un malaise.

Si l’imprévu est possible et peut troubler notre existence, il serait peut-être temps d’aller chercher la paix ailleurs.

  


Christophe Petchanatz  
    

  
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