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  Christophe Petchanatz

  Nouvelles du pays des morts.

 


  



   

e n’ai jamais revu Julie. J’ai demandé, bien sûr, mais c’est souvent que l'un ou l’autre disparaît, et c’est toujours pour toujours. Si ce mot a un sens ici. Il en arrive aussi d’autres. Je n’ai jamais encore été désignée pour en accueillir un ou une.

C’est un plaisir de rester étendue sur la pierre chauffée par le soleil. Le ciel est bleu, les feuillages noirs. Il y a des fleurs partout, surtout des roses, leur parfum abonde, il y a aussi des chants d’oiseaux qu’on ne voit pas et des pigeons et des moineaux qu’on voit très bien. Surtout les pigeons. Il n’est pas rare que l’un d’entre eux vienne se poser sur la croix la plus proche. Je chantonne et je ne pense à rien. J’attends vaguement que quelqu’un passe ou soit passé. Les jours ainsi se suivent et se ressemblent Il me semble qu’avant on n’était pas si bien.

J’ai enfin été désigné pour accueillir quelqu’un. J’avais quitté ma pierre et déambulais, reprise d’un vague souci de voir les autres et d’apprendre d’eux des histoires. Mais il n’y avait personne ce jour-là qui m’intéressât et ma promenade m’a emmenée bien au-delà des quelques allées où je me cantonne à l’ordinaire, plus loin que le grand monument qui veille sur notre quartier. Et j’ai vu un jeune homme venir à ma rencontre.

Son allure ne pouvait guère laisser de doute. Il marchait trop vite et en même temps semblait chercher sans cesse son chemin. Quand il m’a vu, il a hâté le pas à ma rencontre.

Quelque chose dans son aspect m’intriguait. Je le voyait très bien : taille moyenne, nez moyen, cheveux très bruns, et puis tout d’un coup très mal, comme si c’était un mirage, et c’est moi que j’ai vue venant à ma rencontre, et puis non, c’était lui, je lui tendais la main. “ Bonjour ! Je suis heureuse de vous accueillir. Je suis Julie. Je vais vous emmener chez vous. Comment vous appelez-vous? ”

Pourquoi ai-je dit Julie? Je me suis tout de suite demandé si j’allais disparaître d’ici comme ma Julie a disparu. Et peut-être que ne pas donner mon nom était une tentative pour échapper à ce sort. Mais pourquoi vouloir échapper à quoique ce soit, puisque tout est bien? puisque tout est en train de bien finir?

Il s’appelait Frédéric et continuait de m’étonner, car s’il était là bien visible, bien touchable, il m’avait serré fermement la main sans réticences, l’instant d’après son image se brouillait et si je voulait le fixer je découvrais soudain tout autre chose.

“Venez, Je vais vous menez en lieu sûr”. Cette formule m’était venue spontanément, sans que je sache bien ce qu’elle pouvait vouloir dire. Mais sans doute il avait bien besoin de se poser quelque part.

Je l’ai mené à un logement vacant depuis peu, celui de Georges. J’ai fermé la porte sur lui. Je suis rentrée et je n’ai rien dit à personne.

Le lendemain, je vais tout de suite au soleil. Je rencontre Marie qui était avec d’autres. “Tu n’as pas encore vu Frédéric?”, me demande-t-elle. “Quel Frédéric ?” dis-je, étonnée que le mien soit déjà sorti. “Un garçon que j’ai reçu hier. Comment est-il ?”. “Pas très grand, noir de cheveux, des yeux verts”. “Pas de doute, c’est le mien !”. “Où l’as tu emmené ?”, c’était ailleurs, et même tout à fait de l’autre côté.

Nous allons flâner vers le monument. Il faudra qu’il(s) sorte(nt). Et de fait, le voici, dit Marie, dis-je, car il arrive des deux côtés, son Frédéric, mon Frédéric. Il va à sa rencontre, il se rapproche, il va se toucher et au dernier moment le mien se décompose, semble se briser ou imploser, et il n’y en n’a plus qu’un, disons que c’est l’autre, qui semble soulagé soudain et se dirige vers nous, perplexe mais un bon sourire aux lèvres.

  


Christophe Petchanatz  
    

  
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