XII
Apprends à ne pas nommer ton désir.
Sophie Smolett

 

 

Ciel, chéri ! Regardez ce que nous sommes en train de faire ! Cet être issu de nos fluides fuit. Quel chaos à touiller ! Ce sera gris, tout ce délayage… Ses chaussures : sont-elles bien lacées ? Non, suis-je bête, ce sont des bottes qu’il porte, cet animal inconnu. Non de sept, de huit, ou de neuf mais d’innombrables lieues ! Il prend le chemin du jardin, et quand on le voit, on le chasse ; il rentre vivement dans sa cachette, et ne tarde guère à revenir. Il écrème royalement le globe en les étrennant, ces semelles à user… Quelle belle réussite ! Si nous avons trouvé la formule, elle a quitté le lieu. La condition de sa mise à jour impliquait de la laisser aller s’offrir à tous ! Tout en haut de l’échelle, une tête observe la marche résolue de cet héroïque amant. On dit que le Minotaure, au cœur du labyrinthe, son royaume, guettait l’arrivée de Thésée avec pour seul vêtement une jarretière à la cuisse gauche ; ainsi, cette pauvre bête n’espérait pas tant rencontrer sa fin que son futur époux ! Le mythe a tu, le mythe a tué l’histoire réelle. Curieuse sensation… J’ai cette brusque impression de l’avoir eue en moi depuis l’aube. Parcourir un sentier que l’on tire derrière soi d’une même seconde… La peur de tomber ou de heurter un mur rôde. Il y a toujours une parcelle supplémentaire à défricher… Je vous sens fatigué, assailli… Douteriez-vous de ma fougue, de ma très-sincère volonté de vous mener à bon port ? Le trajet est rude, vous n’êtes pas seul à suer, ami, et, je le répète, nous foulons ensemble une herbe fraîche. Les racines se mêlent souvent les unes aux autres. Broutez ! Réconciliez-vous avec cette flore sauvage, reniflez, frottez, mâchez ! Soyez ce digne mammifère en chef ! Selon vous, quelle différence fondamentale y a-t-il entre un cheval et une mouche ? Pouvez-vous écrasez une mouche plutôt qu’un cheval ? Si elle vous a piqué, piquez-la avec une épingle. La prochaine fois que vous en aurez l’occasion, vous verrez d’abord la fumée blanche sortir de la plaie, puis vous entendrez l’hymne. Les choses se sont souvent passées ainsi… Maintenant, la gamme a bonne figure. Elle fait le pantin, secoue les dominos, agite la porcelaine. Pour déterminer sa nouvelle position, croquis : indiquez le moyen le plus économique d’avoir des cartes à dessiner par centaines ! C’est une pensée découpée par les mots que je vous tends aujourd’hui, une grande plaine capitale où poussent et prospèrent de fières industries, fixées sur un sol bien irrigué, un gai mémento ! Comprenez que cela ne saurait suffire. D’abord, on peut, on doit se tromper ; ensuite, comment exprimer ce qu’on éprouve ? Éprouve-t-on quelque chose ? Faut-il l’exprimer ? Un sentiment fort, ou faible ? Ce sentiment est moins fort que cet autre, peut-être, mais l’est-il une fois, deux fois, trois fois, dix fois moins ? Celui que j’éprouve à l’instant est-il plus ou moins fort que celui ressenti hier ? Je ne m’en souviens plus, c’est un fait. Et si je veux le savoir, comment faire ? Voyez à quoi sert ce qui nous rassemble et ce qui nous sépare, et combien il est avantageux de connaître ce dilemme, afin de pouvoir le chahuter et le faire disparaître. Franchir les étapes de la cruauté ! L’efflorescente subversion se doit de se rendre inoubliable pour la jeunesse, pour l’émission sociale de la morale. C’est un stratagème à élaborer avec une précision qui, répartie sur une étendue considérable, déconcerterait par la multiplicité et la gravité des interventions. Monsieur Pet-de-Lèvre combat monsieur Pet-de-Cil ! Un peintre souhaite devenir peintre pour ne pas devenir père. Il pourra ouvrir un pensionnat de jeunes filles, organiser des visites pédagogiques, éduquer d’amusants élèves. De cette expérience, il écrira de folles nouvelles parsemées de minuscules graines de sérieux insidieusement sécrétées de façon anonyme, sans préface. Doit-il changer toutes les couches de la population, supprimer toutes les foires, compartimenter les estampes ? Mode d’emploi : séparez la planche de transferts du papier de soi ; choisissez une image et placez-la sur le papier à l’endroit désiré ; frottez toute sa surface avec la pointe de votre crayon ; soulevez la planche et… Oh ! Surprise ! L’image est collée sur le papier : elle est trans-férée ! Courage, il y a encore quelques millimètres d’esthétique à parcourir !

 

 

XIII@index