XIII
Pupilles grouillent aux carreaux ;
m’ont vu griffer ma panse,
jouer marquise, salir mon eau.
Michel Valprémy

 

 

 

La plus belle fois que mon histoire s’est déchirée, le poème ne vint pas.

Transparente, ma peau ne suffisait plus à isoler, noir, incandescent, ce malaise, chute de soi en soi, d’être une épave.

Rejoindre les lèvres futures.

La ville possédait son fondement : le Blockhaus. Supermarché servant à l’approvisionnement d’une clientèle d’hommes fraîchement enrichis. Adolescentes, prématurément vieillies, venues améliorer leur ordinaire, surtout celui de leurs familles. Professionnelles de la zone, rompues à l’infâme cérémonial. Toutes rongées – virus fin de siècle.

Pour accéder au club, il fallait pénétrer puis emprunter une longue artère étroite. On frôlait, le temps du parcours, le corps debout des hommes et celui, agenouillé, des femmes. Nulle conversation, si ce n’était la plus intimidante, celle des bruits de bouche, d’une extrémité à l’autre. Certains patientaient, fumant, formaient une file. Il y avait des favorites. Leurs poches de chemise gonflaient au fur et à mesure que la nuit s’évidait. Le sol et les murs étaient immaculés de crachats à la nature brute. Cette fresque était la plus rupestre qui fût, composée de la matière première de l’humanité.

Les hommes les appelaient les gueules. Elles les nommaient les bouts.

Hébété, rejeté par le boyau sombre, j’entre, titubant, aveuglé par la fluorescence des néons. Des silhouettes grasses et ridées se frottent aux demoiselles. Les jupes sont très courtes. Petits miroirs en guise de carrelage, afin de mieux apprécier, ivre, la moue intime des serveuses derrière le comptoir.

Sangsues, par salves ininterrompues, tétant l’air.

Boire. On joue une chanson.

Suis-je…/suis-je normale ?

Elle s’approche de moi, sourire, esquisse un geste, tendrement déguisé, maladroit. Nous dansons.

L’amour/transfigure/beaucoup mieux qu’une piqûre…

Insolente de justesse, l’ironie de cette voix nous accouplait pour la plus belle des punitions.

– « Je suis Rose et si tu le veux je vais bien te baiser. »

Hôtel, chambre d’amour, nos langues se croisent, nos nudités se découvrent. Ablutions rituelles. Elle s’allonge, maigreur indécente, magnifique, prête à l’ouverture du réel, vulve lasse – le seuil. Je retrouve cette bouche qui ne ment jamais. Nous parlons, enfin.

Un rêve se relève, prend forme, délavé. Ce serait si beau, si radieux, si je pouvais la rejoindre, remonter en elle, vers le terrier initial…

Une pluie acide griffe les habitations lézardées en rafales. Le ciel bave sans retenue sa bile furieuse. Les déflagrations exultent, abominablement.

Crachat dans la flaque, je confesse ma misérable faiblesse, misérable, misérable…

La sourde chute ralentie du monde.

 

 

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