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« Lexique » bourdieusien —Parcours erratique de morceaux choisis

  

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STRATÉGIE

« La notion de stratégie est l'instrument d'une rupture avec le point de vue objectiviste et avec l'action sans agent que suppose le structuralisme (en recourant par exemple à la notion d'inconscient). Mais on peut refuser de voir dans la stratégie le produit d'un programme inconscient sans en faire le produit d'un calcul conscient et rationnel. Elle est le produit du sens pratique comme sens du jeu, d'un jeu social particulier, historiquement défini, qui s'acquiert dès l'enfance en participant aux activités sociales, notamment, dans le cas de la Kabylie, et sans doute ailleurs, aux jeux enfantins. Le bon joueur, qui est en quelque sorte le jeu fait homme, fait à chaque instant ce qui est à faire, ce que demande et exige le jeu. Cela suppose une invention permanente, indispensable pour s'adapter à des situations indéfiniment variées, jamais parfaitement identiques. Ce que n'assure pas l'obéissance mécanique à la règle explicite, codifiée (quant elle existe). »

(Choses dites, Minuit, 1987, p.79)

 

« Le langage de la stratégie, que l'on est contraint d'employer pour désigner les séquences d'actions objectivement orientées vers une fin qui s'observent dans tous les champs, ne doit pas tromper : les stratégies les plus efficaces, surtout dans des champs dominés par des valeurs de désintéressement, sont celles qui, étant le produit de dispositions façonnées par la nécessité immanente du champ, tendent à s'ajuster spontanément, sans intention expresse ni calcul, à cette nécessité. C'est dire que l'agent n'est jamais complètement le sujet de ses pratiques : à travers les dispositions et la croyance qui sont au principe de l'engagement dans le jeu, tous les présupposés constitutifs de l'axiomatique pratique du champ (la doxa épistémique par exemple) s'introduisent jusque dans les intentions les plus lucides. Le sens pratique est ce qui permet d'agir comme il faut (ôs dei, disait Aristote) sans poser ni exécuter un « il faut », une règle de conduite. Manières d'être résultant d'une modification durable du corps opérées par l'éducation, les dispositions qu'il actualise restent inaperçues aussi longtemps qu'elles ne passent pas à l'acte, et même alors, du fait de l'évidence de leur nécessité et de leur adaptation immédiate à la situation. »

(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p.166.)

 

« Faut-il se plier aux habitudes de pensée qui, telle la dichotomie du conscient et de l'inconscient, portent à poser la question de la part qui revient, dans la détermination des pratiques, aux dispositions de l'habitus ou aux volontés conscientes ? […] en réalité, le partage n'est pas facile, et nombre de ceux qui ont réfléchi sur ce que c'est que de suivre une règle ont observé qu'il n'est pas de règle qui, si précise et explicite soit-elle (comme la règle juridique ou mathématique), puisse prévoir toutes les conditions possibles de son exécution et qui ne laisse donc inévitablement une certaine marge de jeu ou d'interprétation, dévolues aux stratégies pratiques de l'habitus (ce qui devrait poser quelques problèmes à ceux qui postulent que les comportements réglés et rationnels sont nécessairement le résultat de la volonté de se soumettre à des règles explicites et reconnues). »

(Méditations pascaliennes, Seuil, 1997, p. 192.)

 

Voir aussi : Sens pratique; Sens du jeu; Habitus.

  

Les pages Bourdieu

 

Le Magazine de l'Homme Moderne et la liste Champs, 2002.