Gilles Balbastre : Journal d'un J.R.I ou les sherpas de l'info
pp. 63-185 in Alain Accardo (dir.) : Journalistes au quotidien, outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques, Éditions Le Mascaret, 1995. ISBN : 2-904 506-34-9 Transcription pour le MHM : Miguelito Lovelace

 

 

Dimanche 6 février

Rien à signaler.

Lundi 7 février

9h30 – bureau de France 2 à Lille

R-N.U. téléphone à O.E. pour lui demander d’aller à Boulogne. En effet, les pêcheurs boulonnais reprendraient le travail aujourd’hui. O.E. est au courant de cette nouvelle et précise que certains pêcheurs sont déjà repartis ce week-end. Elle précise toutefois qu’elle va se renseigner pour savoir s’il en reste encore au port. O.E. prend contact avec la CME. Un des responsables lui répond que tous les pêcheurs de la Coopérative d’Etaples sont partis ce matin en mer très tôt. O.E. prévient R-N.U. que cela va être dur de faire un sujet. R-N.U. lui répond d’aller quand même sur place.

O.E. savait depuis samedi que les pêcheurs de la CME voulaient reprendre le travail en début de semaine. Seulement, elle n’a pas pu prendre de décision sur l’opportunité d’aller à Boulogne ce lundi matin. En effet, il existe un problème à France 2 le week-end. Les chefs présents ne sont là que pour diriger les éditions du samedi et du dimanche. Ils ne sont pas là pour gérer les éditions de la semaine. Il nous faut donc décider seuls ce que nous devons faire, au risque de se faire passer un savon si notre décision ne plaît pas au chef de la semaine. Il ne nous reste plus comme solution d’attendre le retour des chefs le lundi matin. Le problème est plus fort quand O.E. est de permanence le week-end. En tant que pigiste, elle a moins de poids que C.H., qui est, lui, le titulaire du poste. Je pense que C.H. aurait décidé d’aller à Boulogne ce lundi matin, sans l’avis d’un quelconque chef. Il est vrai que C.H. a peut-être le réflexe plus « nexe », (comme on dit entre nous), que O.E. En attendant, il va falloir faire un sujet sans les principaux protagonistes.

11h – port de Boulogne

Les quais du bassin Loubet sont déserts. Seuls quatre ou cinq bateaux de pêche industrielle sont encore présents. O.E. va à la CME pour glaner quelques renseignements. Elle n’apprend pas grand-chose de nouveau. Pendant ce temps-là, je téléphone à mon confrère de France 3 Boulogne. Je voudrais savoir s’il a fait des images du départ des bateaux. Il me répond que non. Il a été au bassin Loubet vers 9h30 et tous les bateaux étaient déjà partis. Le cameraman a toutefois fait quelques images du port vide et des bateaux de pêche industrielle présents à quai. Il va quand même faire un reportage pour le journal régional de 12h30.

Nous ne pouvons donc pas sauver le coup. Il n’est pas question pour nous de faire un sujet sur des images de port vide. Et en plus nous n’avons pas de témoignages de pêcheurs sur le pourquoi de la reprise. Nous pourrions, au pire, interviewer un responsable de la CME. Mais sans les images de départ au petit matin, le reportage n’aurait pas de sens.

11h30 – voiture de reportage

O.E. téléphone aux deux principaux armateurs de la pêche industrielle pour faire le poin tsur la grève des équipages de leurs bateaux. Ils sont peu bavards et ne nous apprennent pas grand-chose de nouveau. Certains de leurs bateaux sont encore en mer, mais les équipes ont l’intention de se mettre en grève dès leur retour. O.E. téléphone au responsable CFDT des marins qui n’est pas là.

Nous décidons d’aller glaner quelques informations auprès de nos collègues de France 3 Boulogne. Le journaliste nous fait part de la particularité des revendications des pêcheurs de la pêche industrielle. Les équipages protestent notamment contre la diminution des effectifs de chaque bateau et réclament une augmentation de salaire. Le journaliste précise que les problèmes sont locaux et n’ont rien à voir avec les problèmes des marins bretons. Les revendications des pêcheurs sont multiples et variées. Les marins, contrairement à ce que prétend la presse, notamment télévisuelle, ne représentent pas un groupe monolithique, avec des problèmes identiques.

Le collègue nous raconte par exemple, que beaucoup de pêcheurs côtiers boulonnais sont sortis pendant les jours de grève. Les journalistes disaient pourtant que tous les pêcheurs étaient en grève. Mais aucun journaliste, surtour télé, n’est allé voir ces pêcheurs côtiers. Commen traconter en 1 mn 30 cette diversité de situation. Impossible ! Alors il faut résumer, en braquant les caméras sur les pêcheurs de la CME.

Le cameraman nous fait part de la présence, cette nuit, d’une équipe de TF1 avec les douaniers du Nord. En effet, les douanes régionales ont organisé un contrôle renforcé aux postes frontières. Cela va dans le sens des mesures prises par le ministre de la pêche pour faire face à la colère des pêcheurs. Jean Puech leur avait promis que les importations seraient beaucoup plus surveillées aux frontières. Alors la douane organise des « contrôles bidons spécial télé ». Le cameraman nous raconte que lui et son collègue ont fait le même reportage avec les douanes vendredi dernier. Nous répondons que nous ferons jamais ce genre de publi-reportage. C’est le type d’action qui dure une semaine et qui s’arrête après. Comment faire confiance à une opération entièrement préparée pour la télé ?

O.E. téléphone à R-N.U. pour lui dire tout ce que nous avons appris. Il est évident que nous ne pouvons rien faire sur la reprise des pêcheurs de la CME. R-N.U. essaie d’en savoir un peu plus sur la grève des équipages de la pêche industrielle. Il demande à O.E. s’il n’y a rien à tirer de ces gens-là. En fait, il ne comprend plus très bien. Y a-t-il, oui ou non, arrêt de la grève à Boulogne ? O.E. essaie de lui expliquer la différence entre les pêcheurs et entre leurs revendications. Cela devient trop compliqué pour R-N.U. (ou plutôt pour en parler à la télé). Il nous dit de laisser tomber. Il est 12h30 et nous rentrons sur Lille.

18h – bureau de France 2

R-N.U. téléphone pour nous dire qu’il est toujours preneur d’un sujet sur les raisons qui ont poussé les pêcheurs à reprendre le travail. O.E. téléphone à la CME et apprend qu’une partie des pêcheurs revient demain matin décharger le poisson. Mais le gros des troupes doit rentrer mercredi. Nous décidons, O.E. et moi, qu’il serait plus intéressant de faire le reportage ce jour-là.

O.E. téléphone à Paris et tombe sur E.C., (R-N.U. est parti). Cette dernière décide que le reportage se fera mercredi matin.

20h – appartement personnel

Je regarde le journal de TF1 et je vois un reportage sur le retour en mer des pêcheurs boulonnais. Le correspondant dans le Nord était sur place à Boulogne, tôt ce matin. Je me dis que nous avons vraiment fait un loupé. Il faut absolument aller demain à Boulogne pour essayer de rattraper le coup.

TF1 diffuse un peu plus tard un autre reportage sur les fameux contrôles des importations à la frontière belge. Le sujet est limite limite : Voyez, pêcheurs, comme le gouvernement tient ses promesses !

22h – appartement personnel

Je téléphone à C.H. qui est de retour. Il est vaguement au courant pour Boulogne. O.E. lui a fait un petit point avant de terminer son service. Je lui dis que TF1 a fait un reportage sur la reprise des pêcheurs boulonnais. Bref, nous sommes passés à côté de l’info. Je le sens abattu après cette nouvelle. Je lui dis que nous pouvons encore rattraper le coup. Un sujet dans le « 13h » de demain se justifie encore. C’est le premier retour de mer des pêcheurs après plusieurs jours de grève et nous pouvons être là pour réaliser un reportage. Nous pouvons également faire un point sur le cours du poisson, une semaine après les premières mesures gouvernementales de soutien des prix. Bref, nous serons encore d’actu. Cela rassure C.H. et nous concluons qu’il vaut mieux partir demain. Rendez-vous à 4h45.

Je lui raconte également le reportage de TF1 sur les contrôles douaniers. C.H. me répond qu’il ne mange pas de ce pain-là. Il n’est pas question de faire ce genre de sujet.

Mardi 8 février

6h – bassin Loubet

Nous revoilà à Boulogne pour la quatrième fois en une semaine. Le bassin Loubet est rempli de bateaux. Le déchargement du poisson va bon train. L’arrivée d’une équipe de télévision produit toujours son effet. Les pêcheurs n’ont pas l’air de se plaindre du traitement du conflit à la télévision. Nous n’avons pas eu, jusqu’à présent, de remarque désagréable de leur part, ce qui n’est pas toujours le cas après plusieurs jours de lutte.

Je filme les opérations de débarquement du poisson. Pendant ce temps, C.H. discute avec les artisans pêcheurs. Ces derniers n’ont pas repris la mer de gaieté de cœur. Ils sont dans l’ensemble solidaires des Bretons qui font grève, même si certains expriment de petites rancoeurs envers eux. Ils ont conscience qu’ils ont obtenu plus qu’eux. Car ici les bateaux font tosu plus de 20 mètres et les accords portent surtout sur ce type de bateaux. Par contre, en bretagne, beaucoup de petits côtiers font moins de 12 mètres et ceux-là n’ont pas obtenu grand chose. Un des artisans soutient aussi les marins boulonnais de la pêche industrielle qui ont des problèmes d’effectifs, « alors qu’il y a de plus en plus d’accidents à bord des bateaux » remarque-t-il.

Nous faisons les interviews de trois patrons pêcheurs. Tous parlent de leur angoisse du lendemain, mais essaient de justifier le retour en mer. Nous ne ferons toujours pas d’interviews des hommes d’équipage à qui nous n’adresserons même pas la parole.

Nous allons ensuite à la criée. Les cours de certains poissons ont légèrement augmenté. Mais ceci est apparemment plus dû à la rareté des arrivages qu’à une nouvelle organisation du marché. Je fais encore quelques images pendant que C.H. prend des resneignements auprès des pêcheurs et des mareyeurs présents. Nous ne faisons pas d’autres interviews.

8h30 – port de Boulogne

Je filme les bateaux d’Etaples qui repartent en mer. Je fais également des plans des bateaux de la pêche industrielle à quai. Eux continuent la grève. C.H. n’en parlera même pas dans le sujet. Cela touche tout de même plus d’une centaine d’hommes. Mais comment aborder plusieurs réalités en 2 minutes ! Il faut faire alors un choix. Nous ne prenons même pas contact avec les délégués des pêcheurs industriels pour au moins discuter avec eux.

Vers 9h30, nous retournons à Lille par une belle journée d’hiver. La côte boulonnaise est magnifique sous les rayons du soleil. Il y a quand même quelques bons moments dans ce métier, non mais !

10h45 – salle de montage de France 3 à Lille

Le sujet est monté en plus d’une heure et demie et fait 2 mn. Il passe au journal de 13h.

Mercredi 9 février

10h – bureau de France 2 à Lille

C.H. reçoit un appel de F.D., le nouveau présentateur du 13 h. Celui-ci vient de traverser une période du désert de plus de deux ans. Bref, il était, dans le jargon profesionnel, « au placard ». F.D. a apparemment des idées précises sur la nouvelle formule du journal de la mi-journée qui commence la semaine prochaine. Il veut faire un « 13h » basé sur les nouvelles françaises, où les régions trouveraient une place importante.

Après une critique à peine voilée de l’ancien journal (« on ne peut pas tomber plus bas ») il pose les nouvelles bases en employant une métaphore sportive : « un journal, c’est comme le patinage artistique. Il y a un certain nombre de figures imposées au programme, puis il y a les figures libres. Les figures imposées c’est l’étranger, la politique, etc. Les figures libres, ça sera les reportages des régions. » Il précise que « rien ne sert de speeder. Les gens à 13h, et encore plus à 20h, sont installés devant leur téléviseur et ne prennent pas le train. Si le sujet vaut 2’30, il faut qu’il fasse 2’30. » Viennent ensuite des remarques sur le public censé regarder le journal de la mi-journée : « On sait grosso modo que notre public a entre 40 et 60 ans. Alors moi, je leur parlerai pas de l’avant-garde du théâtre japonais comme avaient tendance à le faire les autres, (l’ancienne équipe sans doute). Les gens, ce qui les intéresse, c’est : comment je peux acheter une voiture moins chère aujourd’hui. Il y a les 5000 F pour la reprise d’une voiture ancienne, mais il y a aussi les combines avec l’Espagne ou la Belgique. »

C.H. l’interrompt en lui rappelant que nous sommes bien placés pour savoir cela : « La Belgique est juste à côté de chez nous et nous avons déjà fait des sujets sur ce phénomène. » F.D. renchérit en ajoutant : « Eh bien, moi ça me plaît ce genre de sujet, parce que ça leur plaît à nos téléspectateurs. Il y a des tas de choses qui me plaisent et qui n’ont rien à voir dans le journal que je vais faire. »

C.H. lui demande s’il a l’intention de s’inspirer du journal de 13h de TF1. En effet, depuis de nombreuses années, TF1 par l’intermédiaire de son présentateur J-C Pernaud, fait un journal de 13h basé sur des reportages dans la France profonde à travers des histoires tournées par les correspondants régionaux de la chaîne. F.D. lui répond clairement que c’est son intention : « Il n’y a pas de secret. C’est ce qui intéresse le public. Je ne vais pas lui parler du problème du franc CFA. Regardez, l’autre jour, chez Pernaud, il y avait un sujet sur la réduction des lits à l’hôpital de Clermont-Ferrand. On apprend que l’hôpital est le plus gros employeur de la ville. Donc qu’il va y avoir des conséquences sur l’emploi. Ca, c’est bon. On voyait des jolis immeubles anciens face aux montagnes. C’est ça qui intéresse les gens. »

C.H. précise que nous sommes prêts à fonctionner avec eux : « Nous disons depuis lontemps qu’il faut faire plus participer les régions. Mais il faudrait que l’on se contacte plus tôt le matin. Quand on nous appelle à 10h30 pour faire un sujet pour le « 13h », c’est trop tard. » F.D. en profite alors pour casser, sans le nommer, notre chef. Il évoque le système « brejnevien » dans lequel nous fonctionnons. Il parle d’intermédiaire inutile. Il dit qu’ils essaieront, lui ou D.H., le nouveau rédac chef du « 13h », de contacter directement le journaliste en province. Cela a pour effet de provoquer immédiatement une montée au créneau de C.H. Il défend l’existence d’un chef de service des correspondants, que ce soit R-N.U. ou un autre : « Il nous représente et nous défend dans les conférences de rédaction. » Il rappelle que c’est le seul garant pour que n’importe qui ne nous demande pas n’importe quoi. Du coup F.D. évite d’attaquer de front R-N.U.

Il reprend son idée d’un sujet sur les combines pour avoir une voiture moins chère. Il y tient à ce sujet, et se met d’accord avec C.H. pour qu’il enquête dessus.

C.H. dans la lancée rappelle qu’on ne peut pas vanter la qualité du travail journalistique, mais aussi de l’image, de tous les correspondants depuis trois ans. F.D. n’a pas l’air passionné par cette remarque et affirme : « Il vaut mieux un sujet mal ficelé le jour même, qu’un sujet bien fait deux jours après. J’ai moi-même été au service étranger et j’ai balancé des sujets pas toujours bien ficelés mais avant tous les autres. Et ça, c’est important. »

F.D. repart ensuite sur sa conception du « 13h », « un journal de la France vue par les régions ». Il rappelle encore un sujet passé récemment sur TF1 lors de la Chandeleur, une Bretonne qui détient le record de vitesse de fabrication de crêpes : « Un sujet formidable, alors que pendant ce temps on avait invité un chef d’orchestre japonais. Je n’ai rien contre les chefs d’orchestre japonais. Sauf que tout le monde était sur la Une ». C.H. tempère aussitôt son enthousiasme en lui citant une anecdote que nous a racontée le correspondant de TF1 dans le Nord. Le correspondant de TF1 en Bretagne a loupé le premier incident du conflit des pêcheurspour pouvoir faire son sujet sur les crêpes. Les Bretons étaient intervenus en force dans un entrepôt pour le vider de ses importations de poisson. Ils s’étaien talors affrontés violemment aux CRS. TF1 avait été obligé de reprendre les images de France 3 pour pouvoir en parler. Cette petite histoire a le don de mettre fin assez rapidement à la conversation entre C.H. et F.D.

Nous sommes circonspects après cet appel. J’évoque le danger de tomber dans un « popu ras le trottoir ». Je me méfie de F.D. et de l’idée qu’il se fait du « peuple ». Je veux voir aussi dans la durée ce que vont donner des personnalités différentes comme F.D. et D.H., le nouveau rédacteur en chef. F.D. nous dit de prendre notre temps dans les sujets. Alors que D.H., qui sévissait auparavant au « 20h », a introduit depusi deux ans des sujets ultra courts (entre 1 mn 10 et 1 mn 30 maximum).

Nous verrons bien, mais je me sens bizarre. Comme si commençait une période difficile, où je serais de plus en plus en désaccord avec le fond de l’information. En tout cas, nous pensons que R-N.U., notre chef est sur un baril de poudre. C.H. dit qu’il ne va pas tarder à sauter. Le nouveau chef du « 13h » ne pouvait pas encaisser R-N.U. et ce qu’il n’a pas pu faire au « 20h », il va le faire maintenant avec la nouvelle donne au « 13h ». Ils vont installer une potiche comme chef des correspondants. Comme cela D.H. et F.D. pourront passer par-dessus quand ils le voudront pour nous atteindre directement. Nous nous disons que notre chef, E.C., doit bien intriguer. Elle ferait bien l’affaire comme potiche.

14h – bureau de France 2

C.H. téléphone à R-N.U.pour lui signaler le coup de téléphone de F.D. R-N.U. sait déjà que celui-ci a téléphoné. Il fait cela avec tous les correspondants. Mais R-N.U. est fuyant et bougon comme d’habitude depuis un certain temps. C.H. est obligé de s’énerver pour qu’il l’écoute : « Accorde-moi cinq minutes, je pense que tu es concerné. » C.H. lui raconte laors la conversation. Il lui précise qu’il a cru comprendre que F.D. et D.H. comptaient passer par-dessus le chef de service des correspondants. Et C.H. d’ajouter : « Que ce soit toi ou un autre, il nous faut quelqu’un qui nous représente ». R-N.U. répond qu’il est au courant de cela et ajoute une phrase mystérieuse : « Tout cela fait partie d’un vaste complot auquel je participe ».

15h30 – bureau de France 2

Bernard Tapie doit être mis en examen demain par le juge Beffy dans le cadre de l’affaire OM-VA. Seulement tapie fait souffler le chaud et le froid pour cette venue. Une série de dépêches AFP tombe sur l’annulation de sa visite ou bien sur la confirmation de la date du rendez-vous par le juge. Tapie prétend que le juge ne veut pas changer de date, alors qu’il a une réunion importante au Conseil Régional ce jour-là.

C.H. me raconte une autre version qu’il a glanée au tribunal de Valenciennes. Selon lui, Tapie aurait refusé, puis accepté, plusieurs dates, histoire de mener en bateau le juge. Celui-ci aurait fini par imposer un jour, pour ne pas passer pour un idiot. De toutes façon, nous irons à Valenciennes demain, quoi que disent les dépêches.

18h – bureau de France 2

C.H. reçoit un coup de téléphone de l’attachée de presse de l’Opéra. Une création d’un opéra de Verdi est au programme dans les jours prochains. Il y a une générale, ce soir, réservée à la presse. D’autres attachées de presse nous ont déjà téléphoné les jours précédents.

Mais il n’est pas question pour nous d’y aller. Nous avons eu ces dernières années trois sujets, sur des créations à l’opéra de Lille, mis à la poubelle. Ces sujets étaient bien entendu acceptés par Paris. Nous avons décidé de ne plus faire de sujets culturels dorénavant, histoire de ne pas nous couvrir de ridicule. Ce qui nous étonne, c’est que les attachées de presse continuent à nous téléphoner. Cette fois-ci, elles ont eu directement le chef du service « culture », qui a bien sûr donné son accord pour que l’on y aille. Il fait le coup à chaque fois, et après il ne défend absolument pas le sujet une fois celui-ci tourné.

C.H. téléphone à R-N.U. pour le prévenir de notre refus. R-N.U. nous signale que le sujet est effectivement programmé. C.H. lui répond que ce n’est pas à cette heure-là que l’on programme un tel sujet. En effet, il nous faut un preneur de son, du matériel et un minimum de repérage. R-N.U. ne savait pas que le tournage était prévu ce soir. Dans ce cas-là, le sujet est annulé. Il ajoute que S., le chef du service « culture », ne sera plus là la semaine prochaine. Il doit être remplacé.

C.H. signale à R-N.U.que nous allons demain à Valenciennes. Ce dernier n’est pas très chaud. Au vu des dépêches AFP signalant l’annulation du rendez-vous, il dit qu’il ne faut pas insister. Justement C.H. insiste et lui dit qu’il verra bien demain.

N.B : La réflexion de F.D. sur la nécessité d’être les premiers sur l’info est caractéristique de la « guerre » entre les chaînes, (notamment TF1 et France 2), sur le front de l’information. Toujours à cette fameuse réunion des correspondants de province, le rédac’chef, D.H. développa toute une théorie sur la rapidité : « Ce qui compte, c’est qu’on soit les premiers. Le bon sujet, c’est le sujet qui passe avant tous les autres. Et quand on dit le premier, c’est premier, pas le second. Il ne faut pas que ça sorte avant chez les concurrents. » Il y a eu peu de réactions de la part des journalistes après cette déclaration. Quelqu’un a tout de même fait remarquer que cette logique de rapidité avait amené Timisoara. D.H. a répondu : «  Le charnier de Timisoara, il a existé. Il y avait des corps. » Sa remarque, (au second degré ?), a quand même soulevé un brouhaha général des journalistes présents. Ce qui n’a pas empêché le présentateur F.D. d’ajouter : « Quand un sujet est passé partour, moi je ne le veux plus à l’antenne. » D.H. a conclu par cette formule lourde de sens : « Quand on ne veut pas être le premier, on ne fait pas ce métier. »

Jeudi 10 février

8h15 – bureau de France 2

Nous allons à Valenciennes par conscience professionnelle. C.H. pense qu’il y a une petite chance pour que Bernard Tapie vienne au rendez-vous. Il a fait poster très tôt un correspondant de France 3 Nord/Pas-de-Calais devant le Palais de Justice. Le rédacteur en chef de France 3 n’avait pas prévu, la veille au soir, d’envoyer quelqu’un. CH. lui a forcé la main en faisant déplacer un caméraman à Valenciennes.

Nous retrouvons sur place des collègues de la presse régionale. Par contre, peu de journalistes de la presse nationale ont fait le déplacement. Il y a devant le tribunal, des confrères de La Voix du Nord et de Nord Eclair, un journaliste d’un petit hebdomadaire local sportif, un rédacteur de Radio France Fréquence Nord, des photographes de l’AFP et de Reuter, un journaliste de l’agence AP, un collègue cameraman de M6 Lille, un journaliste parisien de L’Equipe, bref une petite équipe de journalistes qui se connaissent et se reconnaissent. Tous suivent l’affaire depuis le début et ce genre de rendez-cous permet de se retrouver et de papoter de choses et d’autres. Il manque TF1 et c’est une bonne nouvelle pour nous, France 2 : pourvu que Tapie vienne.

Nous attendons une petite heure dans le froid glacial. Le cameraman de France 3 et moi-même sommes postés aux deux entrées du tribunal. Toute la troupe de journalistes spécule sur la venue ou non du président de l’OM.

À 9h30, alors que tout le monde est à moitié saisi par le froid, une voix retentit : « Le voilà », aussitôt suivi par d’autres « le voilà », de plus en plus fort. Cela a pour effet de provoquer aussitôt une débandade des photographes et des cameramen qui bien sûr ne peuvent s’empêcher de se bousculer. Bernard Tapie descend de sa voiture, entouré par la petite meute des journalistes présents. Il ne peut s’empêcher de nous vilipender, entrant fièrement dans le tribunal bloqué à l’occasion par trois policiers. Il a fini par venir.

Nous sommes contents, C.H. et moi, car notre concurrent TF1 vient de faire un loupé. Il s’ensuit de nouveau une attente d’une heure. Nous espérons que TF1 ne va pas être là juste avant la sortie de Tapie. Mais l’AFP a sorti une dépêche juste après son arrivée et France Info doit déjà tartiner dessus tous les quarts d’heure.

De nouveau une agitation s’empare du groupe de journalistes. Tapie ressort par une autre porte. Le cameraman de France 3, posté à l’autre sortie, l’a plein cadre. Je vois à ce moment-là arriver en courant l’équipe de TF1 qui saisit au vol une image de Tapie. Zut, ils sont arrivés un zest trop tôt. En fait Tapie ne va pas très loin et rentre avec sa voiture chez son avocat.

Les journalistes courent au milieu de la rue jusqu’au bureau de l’avocat de Tapie, sous le regard ahuri des badauds. Tout le monde se poste devant la maison et attend à nouveau. C.H. me glisse à l’oreille qu’il a appris par des fuites que Tapie devrait être mis en examen, mais surtout que cette mise en examen est assortie d’un contrôle judiciaire.

C.H. est embêté. Il est coincé avec moi devant cette maison. Il voudrait aller se renseigner auprès du procureur sur la teneur de la confrontation entre Tapie et le juge Beffy. Mais si Bernard Tapie sort du bureau de son avocat, il se doit d’être là pour l’interviewer.

10h45 – bureau de l’avocat de Bernard Tapie

Le journaliste de l’AFP revient tout excité par la nouvelle qu’il vient d’apprendre. En plus de la mise en examen, Tapie est mis sous contrôle judiciaire. Et ce contrôle judiciaire stipule que Tapie doit quitter la fonction de patron de l’OM avant le 20 avril. Il doit verser en plus une caution de 250 000 F. Cela met en émoi tout le groupe des journalistes. Chacun relève la note d’humour concernant le montant de la caution. Il s’agit de la somme retrouvée dans le jardin du footballeur valenciennois, Pascal Robert. Cette somme est à l’origine de l’affaire et serait le montant du tarif de la corruption.

Ce serait la première fois en France qu’un député serait mis sous contrôle judiciaire alors que la levée de l’immunité parlemenatire venait d’être refusée par l’Assemblée Nationale. Cette décision devrait faire jurisprudence. C’est sans doute ce qui explique le visage fermé de Tapie à la sortie du tribunal. Voilà pourquoi Tapie se trouve chez son avocat. Ils doivent mettre au point une nouvelle tactique.

De nouveau tout le monde s’excite. Tapie ressort. Nous nous mettons tous devant la porte, caméras et appareils photo au poing. Tapie passe dans sa voiture, vitre fermée. Mais il ne peut s’empêcher de la rouvrir pour parler à tous ces micros tendus. Il y va de sa petite complainte sur ceux qui sont dans le malheur ailleurs dans le monde. Il conclut qu’il faut remettre cette affaire à son niveau, c’est à dire pas très haut. Je constate que l’équipe de TF1 est à la ramasse. Le cameraman n’a pas pu passer au milieu de la meute des journalistes et n’a donc pas l’interview de Tapie. Il faut dire que durant ces moments-là, c’est un peu la guerre pour être bien placé. Et il n’est pas question de faire des cadeaux aux collègues, surtout quand ce sont des concurrents.

Son avocat, qui est sorti sur le trottoir, reçoit à son tour tous les micros dans le visage. Il ne veut rien dire, (pourquoi est-il sorti alors ?), mais répond quand même peu à peu aux questions. La réponse de l’avocat mise en boîte, nous repartons après être passés, avec notre collègue de l’AFP, chez le procureur Eric de Montgolfier. Il ne peut désormais plus parler, (ordre du ministère), mais il a le droit encore de sortir des comuniqués.

Le journaliste de l’AFP, (qui est le rédacteur en chef du bureau de Lille), et C.H. se marquent à la ceinture. Il existe une certaine concurrence entre eux sur cette affaire. En effet D.C. est un « spécialiste » de Bernard Tapie. Il a été pendant longtemps journaliste au bureau de l’AFP de Marseille. Il a tiré de cette période un livre sur les méthodes de Tapie pour gérer son empire industriel. Ce livre a eu son succès d’édition et D.C. en prépare un autre. Comme C.H. écrit un livre sur l’affaire OM-VA, ils se retrouvent tous les deux à jouer des coudes pour se prouver mutuellement qu’ils ont de meilleurs renseignements que l’autre.

11h15 – bureau de France 2

Nous revenons sur Lille à toute allure pour le « 13h », tout en téléphonant à Paris. R-N.U. reconnaît que C.H. a eu le nez creu dans cette affaire. C.H. est très en verve. Décidément, c’est une bonne journée pour mon collègue qui conclut : « Cette fois-ci, on a baisé la gueule à TF1. Sur ce coup-là, ils ont été au-dessous de tout. » Je partage sa bonne humeur. Arrivés à Lille, Une dépêche AFP est tombée avec les déclarations de Bernard Tapie. Il accuse le juge Beffy de vouloir tuer l’OM. La dépêche vient de la rédaction de Paris et non pas du bureau de Lille.

14h15 – voiture de reportage

Nous repartons à Valenciennes pour faire l’interview de l’avocat de Tapie. En chemin, C.H. contacte R.W., le correspondant de Marseille pour lui préciser quelques détails. En effet, R.W. est chargé de faire un sujet sur les réactions à Marseille, après le contrôle judiciaire imposé à Tapie. Un sujet est du reste déjà passé au « 13h ». C.H. et R.W. s’entretiennent longtemps au sujet des changements à la tête des services de France 2 et du grand remue-ménage à la rédaction nationale. R.W. a lui aussi reçu un coup de téléphone de F.D., (le présentateur), qui lui a fait le même topo qu’à C.H. Lui aussi est dans l’expectative.

R.W. précise qu’une société des rédacteurs de France 2 va être reconstituée et qu’il se propose pour être dans le bureau comme le représentant des correspondants des régions. C.H. tout en étant d’accord sur la démarche, émet des doutes sur ce genre de structure. Il dit qu’il fait plus confiance au Syndicat National des Journalistes depuis de nombreuses années.

15h – centre ville de Valenciennes

Nous arrivons au bureau de l’avocat de Tapie à Valenciennes. Celui-ci nous reçoit avec notre collègue de l’AFP. Tiens, tiens…. Il nous explique la contre-attaque qu’il a mise au point avec Tapie. Il reprend la réflexion de Tapie à l’AFP sur la volonté de mise à mort de l’OM. Cette remarque a le don de mettre en boule D.C. qui ironise sur les amitiés que possède Tapie à la rédaction nationale de l’AFP. En fait sur le chemin du retour, le président de l’OM a préféré téléphoner à son ami, chef de service à l’AFP nationale, pour lui faire connaître ses impressions. D.C. caricature l’appel : « Bon, alors tu me marques ça et ça, et intégralement bien sûr ». Ce n’est pas à son ennemi, rédacteur en chef du bureau de l’AFP de Lille, que Bernard Tapie a accordé une interview.

Les autres confrères débarquent à leur tour dans le bureau. Nous nous retrouvons ainsi une bonne dizaine à faire l’interview de l’avocat. Il nous répète ce qu’il vient de nous dire quelques minutes auparavant.

Avant de revenir à Lille, C.H. va aux nouvelles au tribunal. Il obtient les détails de la rencontre. Mais C.H. ne me raconte pas tous ces détails sur le chemin du retour. Il faut dire que cette affaire ne me passionne pas autant qu’elle le passionne. C.H. se demande comment il va pouvoir monter un sujet pour le « 20h », différent de celui du « 13h ». Il n’arrive pas à imaginer une nouvelle façon de construire ce sujet. Mais il faut parfois faire différent pour séduire Paris.

18h – bureau de France 2 à Lille

C.H., après avoir monté le sujet, reçoit un coup de téléphone de E.C. (notre chef), qui vient d’apprendre que l’ancien PDG de Testut, Fellous, est reçu demain au tribunal de Béthunes. Celle-là, dès qu’elle voit une dépêche, il faut qu’elle téléphone aussitôt. Même si cela n’a aucun intérêt. Résultat, nous laissons tomber Fellous.

Vendredi 11 février

10h – bureau de France 2 à Lille

C.H. me montre la lettre que D.C., la correspondante à Strasbourg, a envoyée à notre chef à Paris ; elle s’insurge contre ce qu’elle ressent comme un mépris des responsables parisiens pour les correspondants de province et exprime son écoeurement de se voir imposer au dernier moment un reportage sur un fait divers « croustillant » plutôt que sur un cas social dont elle a précédemment signalé l’intérêt. C.H. me dit qu’il est évidemment solidaire de notre consoeur. Il précise que les chefs n’ont pas intérêt à la sanctionner, sans quoi il pourrait y avoir des réactions de solidarité. Je lui réponds qu’il ne faut pas compter sur de telles réactions au sein de la rédaction nationale. L’heure est plutôt à l’individualisme chez les jeunes journalistes.

C.H. en profite pour me raconter une anecdote à propos de H.T., le rédacteur en chef du week-end. Il ya eu en novembre une vague de froid qui a entraîné la mort de quelques SDF en France, notamment à Marseille. Un homme a été retrouvé mort sur les marches de la gare, un dimanche matin très tôt. La journaliste, remplaçante du titulaire du bureau de France 2 Marseille, reçoit en fin d’après midi un premier coup de téléphone d’un sous-chef quelconque. Celui-ci veut un sujet sur la mort du SDF pour le « 20h » du soir. La consoeur répond au sous-chef qu’il fallait peut-être y penser plus tôt et qu’il est tard pour assurer un sujet pour le « 20h ».

Un deuxième coup de téléphone va être donné quelques instants plus tard par H.T., le rédac chef du week-end. Cette fois-ci c’est J-J.H., le cameraman du bureau , qui est au téléphone. De nouveau H.T. lui demande un sujet pour le « 20h ». De nouveau J-J.H. explqiue qu’il est plus de 18h et qu’il fait nuit, que l’homme a été retrouvé le matin tôt. Bref, il se demande bien ce qu’il y a à faire sur une telle histoire. H.T. hausse le ton et donne l’ordre à J-J.H. d’aller faire le reportage. Celui-ci refuse et les injures commencent à fuser. H.T. traite J-J.H. de « petit journaliste de province ». Il lui ordonne d’aller faire le reportage. J-J.H. aurait répliqué à H.T. qu’il n’était qu’ « un gros con de chef parsisien assis sur son gros cul » et qu’il n’irait pas faire ce reportage. H.T. enverra par la suite une demande d’explication à J-J.H. et l’incident s’arrêtera là.

16h – bureau de France 2

C.H. a gratté toute l’après-midi sur différents dossiers. Tout d’abord, il s’est renseigné sur le fameux sujet qui plaisait tant au présentateur du « 13h », E.C. : la possibilité d’acheter moins cher sa voiture, par exemple en Belgique. En fait, C.H. apprend que le phénomène s’est déplacé du côté de l’Espagne. J’avais lu un papier sur cette information dans Libé quelques semaines auparavant.

C.H., par contre, est intéressé par l’appel téléphonique d’un transitaire de Boulogne. Celui-ci a raconté une histoire qui nous paraît intéressante. Depuis une semaine, les transitaires de Boulogne n’ont plus de travail. Alors qu’ils recevaient une quinzaine de camions d’importation de poisson par jour, hors CEE, notamment de Norvège et d’Islande, ils n’en contrôlent plus qu’un ou deux. Tout cela est dû aux nouvelles mesures gouvernementales prises pour calmer les pêcheurs. Les douanes et les services vétérinaires se montrent tatillons, refoulant les camions sous le moindre prétexte. À terme, les transitaires sont menacés de chômage. Mais qu’est-ce que trente emplois face aux problèmes des marins pêcheurs ?

Mais l’information s’avère intéressante. Tous les camions refoulés sont retrouvés le lendemain à Boulogne, en train de décharger leurs marchandises, cette fois-ci en toute légalité. En fait, les camionneurs sont allés se faire dédouaner la marchandise à une cinquantaine de kilomètres de là, à Zeebrugge plus précisément, en Belgique. Avec l’ouverture du grand marché européen, cela est maintenant possible. Le transitaire nous précise même que depuis, les camions norvégiens, suédois ou islandais, se font dédouaner dans le port de la CEE où ils débarquent, c’est-à-dire en Allemagne, au Danemark ou aux Pays-Bas. Les importations n’ont pas cessé alors que le gouvernement tente de faire croire le contraire. Nous nous disons avec C.H. que nous allons attendre le début de la semaine prochaine pour voir si le phénomène dure et pour envisager un reportage.

17h – bureau de France 2

C.H. à R-N.U. au téléphone pour lui proposer un sujet sur le carnaval de Dunkerque. Il le tient au courant de l’enquête qu’il a menée au sujet des voitures moins chères en Belgique. Tous les deux concluent que ce n’est pas à nous de faire ce sujet.

C.H. sent que R-N.U. n’est pas bien du tout. Il va rencontrer Mano dans l’après-midi, mais il n’est pas vraiment optimiste sur la suite des événements. Il est un des perdants du grand jeu de la lutte pour le pouvoir qui se déroule actuellement au sein de la rédaction nationale.

Samedi 12 février

11h – bureau de France 2

C.H. me fait part d’un coup de téléphone qu’il a reçu de R-N.U., hier soir vers 23h, à son domicile. D’abord il a été très surpris de recevoir cet appel de R-N.U. chez lui, à cette heure-là. R-N.U. avait trouvé le prétexte de l’appeler pour lui dire qu’il avait vendu le sujet sur la carnaval de Dunkerque pour le « 13h » de lundi. Il préférait le prévenir car il était absent la semaine suivante.

Mais apparemment, R-N.U. téléphonait plutôt pour se confier. Visiblement, il était très pessimiste sur son sort. C.H. me précise tout l’embarras de la situation. Il n’est pas dans nos habitudes d’avoir des conversations intimes avec un chef. C.H. me dit à demi-mot toute sa difficulté pour entrer dans cette intimité. Ce qui fait que R-N.U. n’a pas raconté tout ce qu’il avait sur le cœur. R-N.U. a pourtant fait part de son désir de se barrer, sûrement du poste de chef de service des correspondants, mais aussi d’ailleurs (de France 2 ?). C.H. lui signale qu’il était très difficile de parler avec lui depuis quelque temps, qu’il était souvent colérique. R-N.U. reconnaît qu’il en a marre depuis un bon moment et qu’il espérait bien récupérer le « 13h ». Mais l’édition lui est passée sous le nez et a été confiée à D.H. qui n’est pas un ami intime.

C.H. évoque le jeu des chaises musicales pour me parler de la situation de R-N.U. Toutes les chaises ont été occupées et il n’y en a plus pour R-N.U. C.H. a du mal à me donner des détails de la conversation tellement il a été troublé par ce coup de téléphone. Il répète simplement plusieurs fois : « Je ne l’avais jamais vu comme ça. Tu sais R-N.U., il est souvent bougon, mais là c’était bizarre. »

Il me précise qu’ils ont parlé de la nécessité d’avoir un chef de service des correspondants qui nous représente réellement dans les conférences de rédaction. Il évoque le danger de voir arriver une godiche au poste de responsabilité de service. Et chacun d’évoquer E.C. comme la pire pour le remplacer.

R-N.U. signale à C.H. qu’il a obtenu l’ouverture d’un bureau à Montpeliier et surtout la création d’un deuxième poste à Lyon. Cela fait plus d’un an que l’on fait miroiter à C.H. un poste dans cette ville. En effet, le correspondant de Lyon est parti en 1992 sur la chaîne Euronews et son poste était promis un moment à C.H., qui en avait fait la demande. Cette nouvelle affectation l’aurait rapproché de sa famille et lui aurait certainement changé la vie. Il a même été question formellement que C.H. parte sur Lyon. Oui mais voilà, la promesse du directeur de l’information de l’époque, Alain Denvers, n’a pas fait long feu. Une journaliste de Lyon a été choisie à sa place. Cela a blessé profondément C.H. qui y avait cru. La déception avait été partagée bien évidemment par sa famille.

Il en garde depuis une rancune farouche contre ces chefs parisiens qui ne tiennent pas leur parole. Il se retrouve toujours aussi éloigné de chez lui, alors qu’il donne une grande partie de sa vie à son travail.

Cette mutation aurait également changé le statut de C.H. En effet, la mutation à Lyon lui aurait permis d’avoir un contrat France 2, à la place du contrat France 3 qu’il a actuellement. Outre la distinction d’appartenir à part entière à une chaîne nationale, cela l’aurait mis à l’abri des risques de suppressions répétées des correspondances en région. 2tant salarié de France 2, il aurait été recasé obligatoirement dans la chaîne. Il se verrait mal à nouveau journaliste dans un bureau régional de cette chaîne. Il aurait l’impression de redescendre bien bas.

Depuis, revient régulièrement la possibilité pour C.H.d’être muté à Lyon. Mais il préfère ne plus y croire et reste très méfiant envers ces rumeurs. Et voilà que R-N.U. remet ça sur le tapis. C.H. me dit qu’il n’en a même pas parlé à sa femme, histoire de ne pas créer encore de fausses espérances. C.H. ajoute que « la promesse de J-M.L. à quelqu’un qui va gicler, ça ne vaut pas grand-chose ».

[La suite]

 
 

[Gilles Balbastre]