Lucien Suel

 
 

     Les slogans sont simples. "J'ai cotisé, j'ai travaillé, j'ai droit à la retraite, j'ai droit à la sécurité. J'ai droit, j'ai le droit." Tout le monde a des droits. Personne n'a de devoirs, sauf parfois certains écoliers... Nombreux sont ceux qui savent ce qui est bon pour les hommes.

     On arpente les rues portant les noms des mythiques défenseurs de l'ouvrier, Léon Blum, Emile Basly, Roger Salengro, Louise Michel (tiens, une femme !)... La rue Paul Lafargue, celle du droit à la paresse, est un peu excentrée, plutôt dans les champs, de l'autre côté du canal, de l'autre côté de l'usine...

     Bientôt, sans doute, on arpentera la rue du Sidérurgiste Inconnu.

     F. V. travaillait au déchargement des wagons de minerai, 40 tonnes à la pelle, à la force des bras. Il était fier de sa force, fier de son travail, il n'avait pas son pareil pour fabriquer un fermain à partir d'un ressort d'essieu.

     À ch'momint là, ché métallos avec leu muzett' su chl'épaule, i z'allot' tertous travailler à pied, in vélo ou bin cor' avec des carettes à tchien.

     Ancien de 14-18, retraité à 65 ans, F. V. est mort à 86 ans avec médaille du travail et légion d'honneur. Il n'aura pas vécu la mort de son usine.

     Il n'y a plus de passé, plus de mémoire, plus d'avenir, plus de vision, juste un présent éphémère et gris, on va droit devant, on va dans le progrès, on marche dans le développement, au jour le jour, dans l'économie mondialisée, dans la croissance imbécile et sans but.

 

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