Lucien Suel

 
 

     On a du mal à imaginer sa propre mort.

     La molette de l'ancien haut-fourneau est exposée sur la pente du talus comme un monument funéraire, un rappel de toutes les forces qui se sont épuisées dans la production métallique, une prémonition de la fin.

     La roue de la croissance a tourné. La roue de la fortune a désigné les nouveaux bénéficiaires, au Brésil, en Chine, en Inde, en Belgique.

     Le libre-échange : un Genk pour un Vilvoorde, trois autobus contre un charter, deux barils de lessive contre un lavage de cerveau.

     Le train du progrès est passé par ici, il repassera par là. On ne l'arrête pas. On peut juste le retarder un instant.

     On marche sur le macadam. Pour un moment, on remplace le défilé incessant des poids lourds, qui d'ailleurs s'arrêtera bientôt. Les ponts, les infrastructures, les ronds-points financés par le travail ouvrier serviront à d'autres migrations...

     On est plus triste que révolté. On souffre. On se soumet. On se résigne.

     Les cahiers de revendications peuvent de nouveau s'appeler cahiers de doléances. On ne parle plus de Rosa Luxemburg et des martyrs de Chicago.

 

Table rase  01 02 03