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  Christophe Petchanatz

  Le Gore.

 
  Christophe Petchanatz  
 

 

à Dominique Quélen

Les personnages :

LE GORE, personnage principal : énorme, velu, soufflant de la fumée, il se prend pour un justicier repenti.

LA VOLAILLE : une catin mollasse, haute en couleurs, couverte de plumes et prête à tout pour « arriver » soit : grappiller quelques écus et s'amuser, ce qu'elle appelle « la belle vie ».

LES LÉGUMES : personnages d'arrière-garde.

LE PROF ET SES ÉLÈVES jouent leur propre rôle.

LES POULETTES ÉCRASÉES : amies et faire-valoir de La Volaille.

Entendant remuer dans l'alcôve lugubre, la mère de Gore criait :

- C'est encore toi et tes levées de bar? Une petite « au-paddock », pas vrai? Pour se compren-dre mieux, à ce qu'on dit, et des pets et des rots, pourquoi pas? dans des draps propres qui ne t'appartiennent pas... Mon Dieu j'en ai assez...

Une Volaille ouverte oui, découvrant l'buisson rêche, hein... à coups de poing s'il le faut, La Volaille qui mange, oui, ça elle y pense. Allongée sur la table, et des bouteilles autour, ça venait bien.

Alors la vieille s'est approchée avec sa gueule de fiole, et s'est laissée tomber sur un tabouret, pour gêner, buvant un coup à chaque fois.

L'autre (un légume), malin, tout cauteleux, l'air de rien, surveillait Le Gore qui allait et venait en bouffant — à sa manière — de la chair bien estampillée (La Volaille n'y allait pas de main morte sur les garnitures). Le prof et les élèves, respectueux, doucement, pensaient — féminité. Ça exhalait l'érudition, on en avait plein la bouche.

Calée contre le mur La Volaille picorait une part de tarte. D'une seule main. Elle avala les dernières miettes en tâtonnant... Le Gore virait au jaune et au diable et à hue et à dia. Chaque fois qu'il grimpait sur la table, il avait l'impression qu'il allait déchoir. Exactement ce que voulait sa mère.

Des mouvements spasmodiques de certains muscles intimes, et les murs se serrant et se détendant autour de lui dans une sorte de savant déménagement le mirent à mal.

Comme absent, et la garde rivée sur les babines de La Volaille qui s'ouvraient et se distendaient autour de son pilon, il continuait de blasphémer avec une minutie qui ne souffrait aucune rémission.

D'instinct La Volaille opérait de savants retournements. Et la mère Gore recommença d'être malade.

La Volaille jeta sa serviette de table et s'adossa au mur. Puis elle était couchée sur la table, les pattes en l'air autour de la taille de Gore qui la perçait.

- On ne sait plus qui est qui ici, se plaignit le demi-dieu fumant.

La Volaille était assise sur lui, serviette de table sur la tête et troussée retroussée, empalée. Tous les légumes autour, à regarder.
Puis la Volaille se mettait sur le dos, la tête dans une assiette, ramassée sur la viande-même. Des saucisses répandues partout. Elle attrapa une bouteille, eut un cri sourd, un « ah » d'horreur et de dépit tant il l'abandonnait lâchement. La Volaille sentit enfin, carie et sucre, ce mince soulagement, comme une vesse. Elle gémit quand le pet la souleva. Pal inversé, fluide et diaboliquement astucieux.

Elle venait de disparaître. La Volaille et les stars du boxon nourricier, les trois quarts de la nuit noire, les secondes immobiles.
Une petite crucifixion puis La Volaille angélisée réapparut et se mit à monter et descendre en tapant le plafond. Puis elle ouvrit les bras en croix et, les agitant brusquement, tête penchée comme une petite Piéta, accentua son vrombissement : elle faisait l'avion.

La Volaille poussa une plainte de douleur comme quand on coupe le courant mais il n'eut cure et, ayant ajusté jusqu'à la base son organe tartufe, il commença d'aller et venir dans le conduit avec une impatience inouïe, comme un qui ne supporte plus d'atermoyer, surtout que ce n'est pas pour son plaisir et qu'on sait bien qu'on rentrera à pieds.

Elle volette sur la hampe de chair, la hampe de chevet.

Gore avait le sentiment de tenir une autre bouteille, ou un boulet de chair qui se serait cabré et ruait, un cyclone vivant, une tornade richement ordurière aux métastases industrieuses.

Il eut un temps d'immobilisation puis il se remit à bouffer et ses parents soufflèrent, soulagés.

D'un mouvement lent et terriblement réfléchi il découpa sur toute sa hauteur la peau de La Volaille et la mangea debout, lentement, longuement, comme pour lui faire du mal.

Il avait une mâchoire d'âne et mastiquait avec une régularité monocorde. Il glissa à genoux, la souleva pour l'amuser puis la laissa tomber, lui brisant le thorax. Il était roi. Les poulettes écrasées au-dessus des coussins ne l'impressionnaient même plus. Il poussa jusqu'à ce qu'il butât contre quelque chose de dur et de fibreux, savoura un moment la sensation, essaya de percer plus avant et y parvint, libérant un flot saumâtre.

Il jeta les saucisses au loin d'un geste méchant, il les jeta sur le lit ou achevaient d'expirer les poulettes tandis que les placards s'ouvraient et se fermaient comme des papillons inquiets.

Il l'aima d'un coup violent, l'attrapant aux os et aux ailes, l'attirant du bassin en la soulevant, lui brisant les épaules. Le Gore mangeait plus vite, plus avidement. C'était la fin du monde. Il se pencha en avant et s'avala lui-même. Il s'arc-bouta, s'enfonça dans la table avec une impatience barbare, éparpillant sciures et copeaux avec une bonne odeur de bois qui brûle. On entendait des coups de yin et des coups de yang.

Chaque fois qu'il mordait La Volaille, cela produisait un bruit moite d'arrachement qui faisait rigoler.

Gore enfonça un petit fromage sec dans le croupion de La Volaille. Il l'empoigna aux ouïes, à la moelle et commença à nettoyer, à polir, à lui tirer les yeux à petites chiquenaudes. La nuque cassée, les cheveux dans les yeux, la tête en bas, La Volaille en bavait des ronds de chapeau. Les légumes détournaient la tête. Gore la rongea longuement. La petite se lançait en opérettes sifflantes, en si bémols bien mortifiés et les légumes commencèrent de se planquer sous les meubles.

Le Gore besognait encore — scrupuleusement, vous dis-je.

Et lorsque le couteau frôla le coeur, La Volaille marqua un temps d'arrêt. Ahanement sourd grotesque. Le couteau courait sur une veine bleue. Il entrait et sortait du thorax de La Volaille qui roucoulait avec un rire atroce.

Les yeux pendillaient au-dessus du frichti, augmentant son plaisir. Gémissements de volaille écrasée...! Et comment!

Il faisait le brutal, dans la dentelle. Puis lorsqu'enfin son coutelas toucha le fond, l'âme volaille, cela s'immobilisa avec stupeur et gargouillements fort blets.

Passant la main sous La Volaille, Gore sut que c'était elle qui lui avait tiré son portefeuilles tout à l'heure. Il aurait même pu dire qu'il s'en doutait depuis longtemps. Ses mains se sont crispées et les tendons autour du gosier frêle puis il lâcha, dandy.

Tête soulevée, la petite morte à califourchon sur lui, s'empiffrant de légumes, il se prit à rêver d'un instant de silence, et d'immobilité.

Il voyait cela très nettement — rose et baveux.

 
Christophe Petchanatz    

 

 
    

  
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