Christophe Petchanatz
De l'amibe.

ici c’est triste et froid disent-ils. De l’intérieur. C’est assez difficile d’éprouver quelque chose. A cause de la distance. On ne sait pas l’évaluer exactement ; on n’a pas de repères. Cela tient, je crois, au caractère instable de ce qui constitue notre environnement : l’air est épais, certes, et interne. De se mouvoir soi-même aux confins de soi-même, si j’ose dire... enfin, ces débats s’éternisent et nous ennuient. L’idée que l’on se fait de soi, dont on discute sans fin aussi, cette idée se nourrit d’une perception vague, usée, labile et, comment dirais-je? de seconde main. On doit parler de l’univers, il le faut semble-t-il. C’est bien ainsi que se construit un monde (je veux dire : un monde à soi, dont on prend la mesure — dont on s’inspire enfin — à l’aune de celui qui nous est présenté comme : vrai, solide ; rassurant. Une fois ceci réglé (c’est-à-dire une fois posées les limites de l’affaire, plus quelques règles simples permettant au dispositif de fonctionner vaille que vaille), il convient d’arranger le détail. Tout est là. Et c’est le détail qui permettra que votre ouvrage tienne — ou non. Certains s’empressent d’agglutiner des cathédrales, des cathédrales fines comme très fine broderie ; ils les serrent dans leurs mains, ils s’impatientent. En général, c’est un l’échec. On n’obtient plus, au fond, qu’une boulette grise, et les merveilles ne sont plus. D’autres se veulent arrimés, vertigineux, et ce sont des falaises, des gouffres, où ils ne savent plus poser le pied. Au fond de très fines crevasses serait un peu d’espoir (enfin : l’idée qu’on en aurait, sur le moment), quelques branches menues, quelque rhizome... bien sûr le bras se tend, bien sûr la main se crispe, c’est pathétique. Tout, comme un tas de cartons empilés à la diable, s’écroule au premier souffle, au moindre ravissement. Et ce n’était pas fait pour ça, non plus. D’autres enfin jouent leurs faiblesses et se replient, se recroquevillent au fond, sur un misérable nid de coton mouillé. Ils pleurnichent et regardent ailleurs quand une âme sensible veut leur venir en aide... Mais un autre défaut est notre manque de constance, de confiance en soi. Tout est si difficile... Un geste, par exemple, un geste élémentaire (diriez-vous), se heurte à mille difficultés, à tant d’impossibilités... J’ai beau penser le mieux possible, et essayer de commander distinctement, rien ne se passe — ou si quelque chose arrive, c’est un tel phénomène qu’il est difficile de ne pas imaginer qu’il ne s’agit probablement, après tout, que d’un accident. Cette souffrance même, dont nous nous réclamons tant, il semble bien, à mieux y regarder, qu’elle ne soit que le fruit d’une savante combinaison, d’un calcul qu’on pourrait qualifier de sournois, ou au moins mensonger. Mais c’est ainsi, et nous voguons.

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