XV

Ô ! il avance et pose ses pieds
Dans les routes de légumes avec une lenteur
Écœurante…

Ivar ch’Vavar

 

 

Jambes, bras, troncs tirés hors de la salle en sang. Les bâches font leur devoir, cachent le cauchemar.

Je sortis de la lingerie, me frayant un chemin à travers la poussière, escaladant les gravats, et remontai à la surface.

L’hôpital avait été bombardé. Le personnel, médecins, infirmiers, aides-soignants, s’affairait parmi les décombres des bâtiments. Les blessés erraient dans les couloirs enfumés.

Sur la place, mouillée de rouille, jonchée de souches, entre deux maisons aux troncs amollis, brusquement, montent les rumeurs d’un orgue, sèches, brutales. Des doigts allument ces merveilleuses couleurs, les boutons sacrés résonnent, gueulent, propulsent anges et chiens en une valse honteuse.

Le tintement incontrôlable des correspondances.

Ongles fichés dans la terre, arrachés, vestiges d’une résistance, s’agrippant désespérément à une dernière prise, avant de basculer vers le néant.

Une fillette qu’on enterre à la lueur de braises froissées, d’une flamme qui allait s’éteindre sur un sourire, resté lettre morte.

– « Tu as déchiré ce que tu as écrit ? C’est assez théâtral comme geste ! »

Ce qu’on ne voulait pas voir, les proies en prise avec la laideur, les statues fraîchement déboulonnées, le gravier, cette fourrure entamée par les becs, la torpeur des manteaux lacérés, endormis dans la souillure.

Les mains parlent. La chair refroidit.

Je sentis monter en moi une envie irrépressible de m’éloigner, de me dégager de cette paix-là, étrangement reposante, la paix de la peur.

Les autorités décidèrent d’abandonner l’hôpital. Nous n’avions plus qu’à nous rassembler et à partir vers un camp de retraite, situé plus au nord, dans une poche de résistance.

J’emmenai mon peu de choses. Une boîte d’étiquettes, de la ficelle, un crayon. Ma fortune.

Dissoudre les signes de la vie, ils, nous y parviendrons.

 

 

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