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Un jour,
le nom ne semblera être qu’une
faute d’impression ?
Sylvie Nève

 

 

 

Boum boum ! Boum ! Boum boum ! Les feuilles mortes peuvent cogner, gémir, je n’ouvrirai pas. Quel culot ! Si la matière s’y met… Une mauvaise chose ? L’esprit, déjà, quelle plaie ! Et vous, qui sentimentalisez, avec vos évocations, vos chiures de souvenirs défunts ! Pour cela, il y avait la psychologie, puis le cinéma, et enfin la remise des trophées. Préférez-vous la musique ou la partition ? La mélodie ou le rythme ? La montagne ou la plaine ? Le malheur, le mien, vous n’en entendrez jamais parler à découvert ! J’ai fui tout cela : l’infini servage. Laisser ma vie en gage et faire le pari du resurgissement n’a pas été un acte vierge en frottis et fleurs de doigts ; mon vieux plumage de maître aux flancs infatigables renaissait sans cesse, et soigneusement m’acculait à la besogne boudeuse sans le moindre répit. Nulle excuse ; j’avais le cul le plus rond du monde, une véritable aubaine, à qui osait y fouir de la pupille. À dire vrai, une fois le voile levé, je puais l’avorton, la fausse couche à répétition, le sandwich à chiasse. Les blés du bas-ventre pouvaient bien poindre à la verticale et les aéroplanes graver le cuivre de l’azur dans la vaine attente d’une eau-forte décisive, ma route à abîme ne faisait pas un pli. Une souche sévère de tristesse, perdue parmi les ronces et les orties, je n’étais pas autre chose. Squaw au scalp imminent, poupée blême de plastique, je ne galopais plus que sur mes deux tresses noires et fondues, encore fumeuses, deux totems à grimace crépitant sous la flamme du briquet. Pour me ranimer, on est allé au charbon, on a transpiré sur ma carcasse, on a sué d’adjectifs, d’adverbes et d’épithètes, mis la main à la pâte, tiré ma langue ; on l’a pendue. Tous ces mots, mis bas et en ménage à la va-comme-j’te-pousse, tous pressés d’en découdre avec la faille, l’Origine du monstre… J’avais la grâce d’une poule, caquetant, fientant la maturité de sa glotte. Il fallait courtiser, faire la grande roue, montrer patte blanche sous le gant. Se faire accepter, désirer, fournir l’icône. Que nenni, prétendants : je brouille les pistes de l’expertise ! Depuis, je travaille. Je cogne le blanc du germe. J’organise la succession des tentatives. J’alimente la baraque à songes. Je déblaie les restes de l’ossuaire. Je crache ma folle. Ça déplaît, forcément. Quoique l’espèce n’aie plus guère à se soucier trop de ces questions. Elle possède le robinet des images, à foison, elle extermine en elle toute possibilité de voir. L’épuisement siègeant sur son trône, elle s’en repentira. Elle viendra se ressourcer pour enfin se mettre à être. Elle apprendra à voler, mais elle ne possédera rien. Elle permettra la circulation des formes. Croyez-moi, nous n’avons pas quitté la caverne. Il est temps ! Trêve de truismes. Ressentez cet état, mon grand témoin : ma tête fuse, ma tête sature, ma tête trémule. Inspectez la profusion de cette carrière intérieure ! Il y a toute cette cohue, cette cohorte d’ouvriers vaillants et frondeurs, de la race de racaille qui profère et prolifère, mettant la main irrespectueusement, et je les y encourage, au paquet mien. Ce que je ne dis pas, je le dis, grâce à eux. Ces rustres tiennent les rênes de mon attelage, ils font paître les bêtes, les caressent, les frictionnent de paille ; ils extirpent la saleté, le fumier hors de ma bouche – la pompe lyrique ! Ils veillent, compagnonnage fidèle, à mon grain, ils font chauffer le four, très fort ! Cette tête est un bordel, un pour-de-vrai. Il s’en trame des choses, il s’en traque et s’en détraque. Là, voyez, je joue, oui, je ne viens pas encore, un long parcours à cadencer, je joue, déjoue ! Trop de badinage, diront-ils, en négligeant la primeur de mon enfance, recommençant incessamment, de ma candeur latente, obscure et grouillante de traverses, de traces, de traquenards. Je m’y perds perpétuellement, je m’y égare, offerte sur les rails au passage des grandes vitesses pensantes ! Le discours, c’est la méthode. Je vous parle pour vous aimer. Non pour me faire aimer de vous. Si ce nommé réel existe, il faut lui faire roter sa couronne, s’y frotter, séance tenante ! Et bien la tenir, cette séance… Je me montre difficile et glissante. Simplement parce qu’il me faut regagner la ligne de départ après chaque nouvelle course. Le temps de l’échauffement n’existe plus. Il a hanté la totalité du genre humain. Je ne désespère pas du jour à venir où je me dépasserai moi-même dans cette compétition inachevable. Parfois, je suis prête de m’atteindre, de me toucher, mais je dérape, déraille et mords la poussière. Aussitôt, je renais, et me cabre encore et encore, aux aguets de la détonation inaugurale. À votre attention, instantanément, je déplie et éploie mon jeu d’épreuves, ma gamme incomplète. Ma déclaration doit se faire forage, vous sonder au plus profond. J’entre, sournoise, visite à ma guise vos lieux les plus intimes, et effectue mon marché. Procéder ainsi, forcer les entrées, et collecter. De ces multiples excursions et pillages naît ce remuant amas de miettes, bribes, copeaux, assemblés, démantelés, unis, dispersés : une présence, poupon de notre union. Malgré ce moteur ardent de secousses, vibrant de brûlures révélantes, ma crainte rémanente est que l’Harmonie, ce but avoué comme idéal pratique, ne soit qu’un mythe, nécessaire, dont la tangible existence ne serait effleurable que sous cette forme-là. Soyons non plus des échantillons d’exhibition. Simplement des passeurs considérables. Il y aura des embardées, des momeries, des effusions de sens, des accolements douteux, des coups de poignard ; il y aura de la jubilation, des éclats, des succès, des fleurs ! Au bout de ces expériences, de ces mélanges, de ces hasardements, chacun d’entre nous trouvera son compte, et saura y composer son subtil bouquet, guetteur attentif et futur colporteur. Sa parole – pas la parole, mais une infime et nécessaire part fluente du monde. La parole-de-telle-sorte-qu’on-la-regarde, qu’on y saisisse sa chance d’enrichir le chśur. Et non y élever un petit oracle personnel et misérable, se comporter en douanier du culte ! Assez. Revenons au contact, mon cher. Poursuivez. Mes oreilles vous dévorent.

 

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