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Michel Lecamp

  L'envers d'Ulysse. (5)

 
 

Michel Lecamp

 
    

II

L’EXPLORATION D’UNE REINE.

 

13. La Reine disgraciée.

Les familles des Prétendants et toute la cour m’accablèrent bientôt de sarcasmes. Parodiant la devise d’Icarios, mon père bien aimé : « je touche » (il l’avait choisi en hommage raccourci à la tirade « à la fin de l’envoi, je touche » qu’il affectionnait tant) ils insinuaient que la mienne fut plus trivialement « je couche ». J’acquis ainsi la plus mauvaise réputation.
     Tombée en disgrâce, je souhaitais qu’on m’élargisse, au figuré.

 

14. Épisode de la Reine élargie.

     Mon Roi, pris d’une soudaine lubie (folie serait plus juste), et fouillant incontinent l’essentiel de mes linges (et des plus intimes cela va sans dire car quoi d’autre, n’est-ce-pas, pourrait bien motiver sa curiosité en la matière ?) extirpa bientôt tel un trophée porté bien haut une mienne culotte cachée parait-il sous une pile et recelant, à l’entendre, de sombres indices. « Tu n’es pas une oie blanche » voulait-il dire, « loin s’en faut, les preuves de ton ignominie s’affichent un peu partout en ce lieu à commencer par ici ». Au bout de son doigt tendu et pointé vers le ciel appendait l’objet du délit (l’ayant retourné et reniflé un certain nombre de fois il soutenait qu’en son centre se trouvait une trace ocre révélant certain passage indécent, quant à moi, rougissante à moitié, je refusai obstinément d’y porter le moindre regard et d’attester de sa supposée bonne foi).
     Aussitôt, comme s’il poursuivait une enquête en moralité ou se trouvait à l’affût de quelque découverte d’importance, il souleva mes jupes sans un mot (et n’attendez pas qu’il demande seulement la permission, ces manières-là lui sont étrangères) et les troussa à la recherche de je ne sais quel joyau ou lettre compromettante. Puis il fit davantage, me dénuda le derrière et —faisant fi de mes protestations, invariablement sourd à ma supplique— m’inclina les reins en avant s’étant mis en tête d’inspecter mes plis un à un, fronçant les sourcils en parodiant celui qui débusque un coupable au terme de longues perquisitions méticuleuses, fouillant mes chairs exquises plus que de raison mais fit chou blanc.

     Refusant de lâcher prise (« je suis Roi et entends être obéi » répétait-il sans que dans cette affaire quiconque lui ai jamais désobéi mais par pure routine) il me fit surveiller par ses gendarmes (c’est le nom que, plaisantant à demi, il leur donnait, à moi il évoquait les souvenirs d’enfance et les punaises rouges et noires courrant sur les graviers). Ceux-ci prirent bientôt des libertés extravagantes sur lesquelles il préféra fermer les yeux et, prétextant d’incongrus contrôles, m’administrèrent lavements et clystères, cherchant des preuves d’on ne sait quel crime mais toujours les mains (quand il ne s’agissait que d’elles !) perdues à l’intérieur.

     Cette histoire ridicule prit un tour effrayant lorsque devant ses sbires —comment les nommer autrement ?— il m’affubla des pires sobriquets parmi lesquels celui de Poule au Pot n’était pas le moins cuisant. Comme il se piquait de cuisine (l’expression « grand chef » l’avait visiblement impressionné depuis qu’il l’avait entendu employée dans la bouche de Circé) il ordonna qu’on me dispose sur sa table les fesses relevées afin de pouvoir (après que les gendarmes ont inspecté le conduit) déguster, pincé entre elles, un œuf à la coque dont le jaune, sur le sillon, dégoutta à peine (bien entendu je m’efforçai de ne pas entacher ou fendiller la coquille tant je savais qu’il en ferait l’exploration, son repas achevé). J’eus beau protester, invoquer ma qualité de Reine pour m’exonérer de celle de coquetier il m’objecta sans rire que toute coquette contenait un coquetier dont il entendait user et que j’étais Poule au Pot avant que d’être Reine. C’est lors du même repas qu’il prescrivit à mon endroit un remède à base de lait —et en quantité remarquable : pas moins de deux bons litres, tiède et bouilli— que ses valets —riant sous cape et piaffant certainement— m’injectèrent sans précaution ni ménagement.

     La folie de mon Maître connut quelque repos (du moins le croyais-je) pendant lequel ses gendarmes continuèrent leur ouvrage, remplaçant bien souvent (à ce qu’il me sembla) les clystères de bois et d’étain par d’autres plus suaves. L’accalmie dura deux jours à l’issue desquels le Roi —il voulait, parfois, qu’on le nomme Henri IV— reparut, armé d’un nouveau caprice.
     « Je me suis égaré » commença-t-il (à cet énoncé mon cœur s’emplit prématurément de joie et déjà j’imaginai à nouveau cacher ma nudité et voiler mes attraits très précieux sous les tissus les mieux parés) « tu n’es point Poule au Pot, ma Reine, (là encore mon titre reconquis je sentis mon visage esquisser un sourire), non, pardonne mon égarement, tu n’es point Poule au Pot mais bien Poule aux œufs d’or ce dont assurément ton slip portait la trace ! » (qu’il emploie ce mot —slip— (encore inconnu d’Ithaque et de Sparte) voila bien qui signait sa folie et sa condition d’insensé).
     Je crus m’évanouir mais n’en eus pas le loisir car déjà des bras puissants prenaient mes cuisses en tenaille. J’implorai la Providence, qui ne m’entendit point et, impuissante, assistai à ma mise au bûcher.

     Tous me couvrirent de noms de volailles, d’oiseaux de basse cour : « poule ! dinde ! oie sauvage ! ». L’un d’entre eux, prénommé Donatien —quelle ivresse l’avait donc gagnée ?—, me donna même de la « pintade ! » ! Cette dernière saillie m’arracha un rire et, contre ma volonté, je vessai sous leurs quolibets salaces.

     Je me sentis déchirée, écartelée, prête de défaillir sous la douleur. De quel genre d’instrument s’agissait-il ? Quelle machine infernale avaient-ils inventée ? Je ne reconnus en effet ni le caoutchouc de la poire, ni la souplesse de la canule, pas plus que la douce rigueur des sondes de tailles différentes qu’ils employaient d’habitude. Je supposai donc qu’ils se servaient à présent d’un de ses instruments barbares dont usent les chirurgiens lors d’accouchements difficiles et qu’on nomme fort justement écarteurs.
     « Montre-nous ton trésor ! » braillait le Roi « où le caches-tu scélérate ? où fabriques-tu ton or ? »

     Il scrutait mes entrailles le fol animal ! fouillant du regard mon souterrain à la recherche d’œufs dorés. « Ce fondement nous rendra riches » et, ce disant, il éclairait l’orifice d’une lampe à huile, avide d’explorations, de plongées souterraines. Je compris qu’à la lettre il avait faite sienne l’équivalence freudienne.

 

15. L’ Oracle de Delphes (Pénélope en Pythie).

     Après plusieurs mois d’essais et tâtonnements nous découvrîmes certain régime alimentaire —c’étaient fèves et chocolat— me permettant de pondre (ce n’est pas là le mot juste mais je ne sais comment dire autrement sans que le rouge me vienne aux joues) à heure fixe.
     On abandonna bien vite le speculum et l’endoscope, non qu’ils m’occasionnassent les souffrances les plus atroces, mais plutôt qu’ils m’empêchassent d’évacuer proprement et qu’ils s’affirmassent donc contraires aux volontés du maître. Je retrouvai ainsi peu à peu ma dignité et, maîtrisant la production des matières, on m’affranchit tout à fait des sangles et courroies qui me maintenaient figée dans d’improbables positions. Il suffisait à présent que je me présente sur le pot à l’heure dite et que rien de l’expulsion ne soit dissimulé au public.
     Le Roi eut en effet l’idée, fort plaisante, d’organiser des visites auxquelles il convia tout d’abord de hauts dignitaires étrangers, ses hôtes de marque ainsi que certains voyageurs de commerce (pourquoi s’était-il donc entiché de ceux-ci au point qu’ils jouissent d’un tel privilège, c’est ce que je ne parvins à éclaircir). C’était à coup sûr renouer avec la tradition héritée a posteriori du Roi Soleil et du spectacle de sa royale défécation.
     Je vis donc bientôt défiler dans mon dos les bataillons des enfants des écoles accompagnés de leurs maîtres. Installés sur de petits tréteaux, disposés en arc-de-cercle, ils notaient certaines choses dans des cahiers. Quels croquis griffonnaient-ils donc ? Et quelle matière prétendaient-ils étudier ?

     Paradant devant eux et désignant ma croupe offerte j’entendis Ulysse qui glapissait : 
- « Contemplez la fabrique ! Et les apparitions !»

     Et les maîtres, fort doctement commentaient mes fumées, glosant sur leurs forme et consistance, critiquant leur couleur, débattant de leur fragrance dont ils tiraient de forts savantes exégèses et les développements les plus inattendus. Selon qu’elles fussent bien moulées ou non ils en déduisaient des postulats incomparables ou les réfutaient sans retour.
     Une science naquit bientôt de cet exercice, entraînant avec elle son cortège de mages et d’experts. Des assemblées entières se réunirent autour de mon derrière et on crut, de son observation, pouvoir prédire l’avenir. Les plus grands savants, mandés par le Roi, posèrent les principes d’un art divinatoire dont je devins (bien par devers moi) l’Unique Augure, si bien que je me vis bientôt consultée à tout propos et que, par souci de rigueur et soif d’analyse, ils étendirent leurs explorations à toute ma personne. Chacune de mes réactions fut dès lors enregistrée, mesurée, comptabilisée, mes sécrétions (et leurs origines) dûment répertoriées, archivées, mes orgasmes consignés, numérotés, je devins la Clé de toutes choses, l’Universel Passe-partout, l’unique objet scientifique auquel toutes les disciplines aboutissaient sans exception et qui constituait leur seul fondement.

     Rien ne leur échappa sinon l’essentiel : mon secret d’alcôve, celui qui s’évanouit dès qu’on le croit percer, le mystère d’une femme (« les ferrets de la Reine » plaisantaient-ils sans se douter qu’ils brûlaient) qu’on croit gésir à son intérieur de par sa nature intime mais ne s’y trouve nullement. Je connais de ces esprits rudes qui confondent secrets et sécrétions et dont la sottise est insondable. Mon Roi fut de ceux-là et ses savants (Diafoirus et autres hommes de cabinet) s’égarèrent à sa suite. Ils ignoraient que la clé tient en une lettre. Et que toute ma passion s’y trouve plus encore qu’au tréfonds de mes entrailles. L’envers d’une femme, en sorte, celui d’une Reine en tous cas, consiste en une lettre dérobée, un tissu ou un voile porté, mais ne s’y révèle qu’à demi. Le reste doit demeurer illisible.

Fin.

 

Michel Lecamp

   
Michel Lecamp  

  
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