Michel Lecamp

 LA VIE DE MOLLY R.

 

 

Michel Lecamp
Paru dans Mrôrch, 25 octobre 1996.

 

 

   

ÉPILOGUE

Je connus Molly tout d’abord de réputation.
Sur l’île de G., des rumeurs clandestines évoquaient les égarements de cette « Reine de sabbats » (...). Je la découvris au hasard des rues et à simplement croiser son regard, je sus qu’elle m’était présentée.
L., son mari, aimait la surprendre en compagnie d’hommes qu’il choisissait soigneusement, selon des critères précis d’âge, de poids, de nombre et de couleur. Bien vite il organisa de petits spectacles où elle apparut baillonnée, ennivrée ou complaisante, au choix du Roi,(...). Plus que la trahison, il souhaitait qu’elle incarnât l’innocence pervertie, ce dont elle s’acquittait admirablement.
Il ne se contenta bientôt plus d’observer ses mises en scène et décida de photographier chacune d’elles. C’est, je crois, ce qui poussa Molly à rédiger ses courtes confessions et ainsi préserver cet espace secret que L. lui voulait arracher.
Il usa de la caméra et multiplia les dérèglements mais, dans les scandales et les orgies, et malgré le nombre de ses amants, Molly sut rester insolemment fidèle à son corrupteur. Ce n’est que lorsqu’elle le crut double et insincère qu’elle se déroba à ses griffes et rejoignit le continent.
Des malles qu’elle fit alors vinrent choir ces quelques feuillets, qu’elle souhaita perdre sans avoir le coeur de les détruire. Elle les remit à son frère qui, n’en ayant cure, me les confia sans même les lire.

C’est le caractère contraint de ses révélations qui me fonde à risquer leur dispersion par le monde. Aussi restreinte puisse-t-elle paraître, elle leur restitue la qualité d’objet rare ; comme elle oiseau ou perle rare.

Je dispose aujourd’hui d’une photographie de la collection privée de L., qu’il voulut bien me céder. Ce cliché ordonne, depuis que je le possède, mon désir et sa résolution.

 

3.

Or — quelques uns — métamorphosèrent Molly.

Débarquée fille vierge à l’île de G., elle s’en exila 417 jours plus tard abusée, insultée, agonie mais femme, adorée, accomplie, achevée, triomphante

Reine de sabbats noyée d’hommes clignant les yeux, couverte d’ogres, noirs, vieux, gros ou jeune fauve qu’un coq castra à demi, tous empressés de saillies

avide de leurs désirs démesurés puis repentante ou menteuse

double et triple, enfin sortie du vide

Tout à la fois agenouillée dévote aux marches de l’autel & catin docile prêtée aux valets

double et triple et coupée sous les yeux aveugles du père

La voilà la chair changée, tranverbérée, retournée tel un gant ajouré,
ses pures fesses très hautes sont des pommes de Cézanne et

son sexe dénudé précipite les liquides et ses lèvres, dans les voitures, embrassent à pleine bouche leur zélé corrupteur

les genoux écorchés d’avoir trop frotté ses ébats sales promènent sa frêle silhouette d’enfant nubile

« Laisse-moi boire avec les lèvres ! »

Revenue à la ville flanquée d’escarpins ustensiles comme Hélène elle cède à son ravisseur sous des portes cochères et on la nomme Molly la louve