10.

Je mourrai bien assez tôt pour ne pas assister au spectacle de ma dégénérescence. Je quitterai les rivages des soucis à temps pour sauver de l’oubli ce qui en vaut encore la peine. Je ferai lever autour de moi des milliers de bras, tous prêts à me porter vers les cieux dans lesquels m’attendent déjà les remords les plus séniles. Ils n’ont fait qu’effleurer mon existence ici-bas.

Et ces formes qui toute ma vie durant m’auront accompagné ; je les envelopperai de mes baisers les plus fiévreux, de mes spasmes les plus tendres car j’ai su tous les efforts qu’elles ont dû endosser pour devoir me vénérer, empereur que j’étais, jamais las d’être observé, jamais oppressé d’être envié, jamais touché d’être hué ; je croyais. Je croyais en Dieu et j’ai su pourquoi. Je croyais en l’homme et j’ai compris pourquoi. Je croyais en l’amour même si je ne forniquais pas. Je croyais en la dualité même si je m’en cachais bien, honteux d’avouer les limites insoupçonnées de mon imagination atone.

J’enflammais les mains et prêtais mon visage à leurs poings autant qu’aux bouches qui me crachaient leur fiel, affrontant toujours ces offrandes, le regard ébloui par tant et tant d’intérêt porté à un borgne, ne voyant à travers son unique organe que des moitiés de pustules, que des demi-dieux.

Pourtant je m’enivrais d’une solitude féconde, aussi inepte qu’une fosse inconnue. J’habitais pour quelque temps les existences de ceux qui voulaient bien m’héberger en eux ; je leur serai reconnaissant éternellement. Je craignais le miel coulant au fond des êtres, sûr qu’il ne pouvait que réveiller leurs haines ancestrales envers la quiétude. Absoudre.

Comment s’est-il fait entendre ? Comment a-t-il pu créer ? Il n’a jamais rien créé ; tout lui a été donné, tout lui a été légué et ce ne sont pas ses rares instants de lucidité qui sauront justifier son attirance pour les périodes fastes d’un passé définitivement dépassé, enterré.

J’aspire à une paix sans guerre, à une guerre sans sang.

J’exploite mes crises comme l’esclavagiste ses nègres et j’ai peur, j’ai peur de mourir avant d’avoir changé d’état.

  

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