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  Loïc Wacquant

 
   

 

 
   

  

 
      Loïc wacquant

  Retour de la « cité-tourbillon »
  « La ville globale »,
de Saskia Sassen.

 
  wacquant
Le Monde diplomatique
, novembre 1997.
    
 
 

en 1900, dans un article visionnaire intitulé « La diffusion à venir des grandes villes », H. G. Wells inventait le terme de « cité-tourbillon » (« whirpool-city ») capable d'attirer à elle et d'absorber en son sein et les populations et les industries des contrées les plus reculées. Dans La Ville globale (1), Saskia Sassen dresse avec brio le portrait d'un nouveau type de métropole, centre de commandement du capitalisme planétaire, né du double mouvement paradoxal de « dispersion » des activités manufacturières à travers le globe et de « centralisation » des fonctions de coordination, de prévision et de gestion « mondialisées », dont New York, Londres et Tokyo nous livrent l'archétype.

pointg.gif (57 octets) L'ouvrage s'organise autour de quatre thèses, qui définissent autant de propriétés distinctives de la « ville mondiale ». Premièrement, plus l'économie s'internationalise et plus les fonctions de contrôle des « grandes firmes s'agglomèrent dans un petit nombre de sites », niches au coeur des pays les plus avancés, puisque c'est sur ces derniers que l'investissement transnational s'est recentré depuis la fin des accords de Bretton-Woods. Par conséquent, et en second lieu, la « ville mondiale » n'est pas un simple pôle de décision stratégique : c'est aussi «  un site de production » très particulier puisque les marchandises qui s'y fabriquent sont les services spécialisés nécessaires aux entreprises multinationales (assurances, droit, comptabilité et fiscalité, publicité et relations publiques) et les nouveaux instruments financiers indispensables au management planétarisé. Ensemble, ces deux secteurs constituent le fer de lance de la nouvelle économie urbaine.

pointg.gif (57 octets) Troisième idée-clef, l'apparition des « villes mondiales » « remodèle la hiérarchie urbaine », nationale et internationale : d'une part, elle accentue le déclin relatif des métropoles secondaires, dépendantes des industries traditionnelles ; d'autre part, loin d'être rivales, ces villes s'inscrivent dans un même réseau planétaire qui transcende les frontières et ronge la souveraineté de leurs Etats respectifs. Enfin, l'ascension de cette nouvelle espèce de métropole se traduit par la « dualisation » de la structure socioprofessionnelle et spatiale de leurs populations, par l'institutionnalisation du marché du travail informel et par l'accroissement corrélatif des inégalités de classe. Ainsi la haute noblesse d'entreprise vivant dans les quartiers huppés en plein boom et le sous-prolétariat des bas quartiers déshérités à forte proportion d'immigrés croissent-ils partout dans une relation symbiotique.

pointg.gif (57 octets) Solidement documentées, les thèses de Sassen soulèvent autant de problèmes qu'elles en résolvent. Tout d'abord, nombre des tendances économiques récentes, hâtivement attribuées à la « mondialisation », s'observent tout au long du XXe siècle pour peu qu'on élargisse la période d'observation (2). Ensuite, en sélectionnant comme sites empiriques les trois places financières hégémoniques du moment, Sassen ne se condamne-t-elle pas à trouver que le nouveau « régime urbain » est dominé par la finance internationale ? Dans la foulée, on ne voit pas clairement pourquoi les mêmes innovations technologiques qui facilitent la dispersion de la production manufacturière n'ont pas autorisé l'éclatement de la production des « capacités de contrôle mondialisé ». Enfin, on peut regretter que l'économie politique que pratique Sassen mette par trop l'accent sur l'économie au détriment du politique : le rôle de l'Etat n'y est guère qu'effleuré (3) alors que toutes les études comparatives montrent que ce dernier contribue fortement à déterminer la nature, la forme et l'étendue des inégalités sociales.

pointg.gif (57 octets) Ces critiques n'enlèvent rien au mérite de Saskia Sassen : par sa force et sa clarté analytiques autant que par les questionnements qu'il fait surgir, le modèle théorique proposé est indispensable pour repenser l'articulation entre l'ordre urbain (inter)national in statu nascendi et le nouvel ordre capitaliste planétaire.


(1) Saskia Sassen, La Ville globale. New York, Londres, Tokyo, Descartes amp; Cie, Paris, 1996, 530 pages, 220 F.
(2) Neil Fligstein, « Mythe et réalités de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, septembre 1997.
(3) On trouvera un début de correction in Saskia Sassen, Losing Control ? The State in the Global Economy, Columbia University Press, New York, 1997.

 
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