« Redonner ses titres de noblesse ą l'astrologie, enseigner cet art ą la Sorbonne :  voilą pour quoi je lutte ! »
(source : "Mes combats", site E. Tessier)

   


De quoi Elizabeth Teissier est-elle coupable ?
Alain Touraine

Le Monde, 22 mai 2001

BSENT de France au moment de la soutenance de thèse d'Elizabeth Teissier et de la polémique qui l'a suivie, je n'ai voulu rester ni ignorant ni silencieux. Cette thèse vient d'être mise à la disposition des enseignants et des chercheurs. Je me suis présenté le premier et j'ai consacré la journée du 15 mai à sa lecture. La question qui a soulevé les passions est : Mme Teissier a-t-elle affirmé que l'astrologie est une science?

 En 1975, une vingtaine de Prix Nobel et une centaine de scientifiques avaient déclaré que les affirmations et prévisions de l'astrologie ne remplissaient pas les conditions de la connaissance scientifique. J'ai moi-même, comme la plupart des sociologues, une réaction de vif rejet à l'égard de l'irrationalisme et des efforts faits pour relativiser la science et la mettre sur le même plan que n'importe quel type de connaissance.

 Je ne me pose donc pas la question de savoir si j'approuve ou si je condamne l'affirmation que l'astrologie est une science. Je voulais savoir ce que Mme Teissier avait dit, si elle avait écrit cette affirmation et pris l'astrologie pour une science, pourquoi pas pour une cousine de l'astronomie.

 Après la lecture de ces plus de 800 pages, la réponse à la question posée s'impose à moi : Mme Teissier n'a pas défendu cette position scandaleuse, et que j'aurais été le premier à condamner. Les reproches que j'ai à lui faire sont d'une nature presque opposée et montrent plutôt le malentendu qui s'est créé, ou la rouerie de l'astrologue. Mais je n'ai lu nulle part dans sa thèse que l'astrologie était scientifique et, quand elle commente elle-même une enquête qui l'affirme, elle critique, à juste titre, des résultats fragiles.

 Il est vrai qu'elle définit l'astrologie comme science humaine. Ce qui m'attriste, car cette formule, qui résume de longs développements et même l'idée centrale de la thèse, veut dire que les sciences humaines sont d'une tout autre nature que les sciences de la nature. Idée assortie de beaucoup de citations de Georg Simmel et de Max Weber et qui est doublement incongrue. D'abord, parce que l'affirmation que la position des astres influe sur les conditions humaines relève des sciences naturelles —qui la rejettent— et non des sciences humaines. Ensuite, parce qu'une réflexion générale sur la nature de la connaissance en sciences humaines n'a jamais rendu positive une corrélation qui est nulle.

 La conception très générale des sciences humaines définie par Mme Teissier ne devrait dispenser personne de démontrer une affirmation précise. Quant à la tirade oratoire qui dénonce la pauvreté de la science qui n'a saisi qu'une petite partie de la réalité depuis le triomphe du rationalisme, elle m'est indifférente, puisque la démarche scientifique a justement consisté le plus souvent à établir des faits, des observations et des relations bien limités.

 Etant moi-même au plus loin de considérer la connaissance des faits sociaux comme identique aux sciences de la nature, je m'irrite quand on déverse sur les sciences humaines tout ce qui est rejeté par les sciences de la nature. Les sciences sociales ne sont pas des non-sciences de la nature. Mais il faut se calmer, car les faits rapportés par Elizabeth Teissier et qui proviennent " de son expérience et de sa sensibilité " (p. 533) relèvent plutôt de la chronique journalistique. Elle accumule ses souvenirs et, en particulier, ceux de ses rencontres avec François Mitterrand, dont l'image se brouille ainsi encore davantage.

 Alors qu'on reproche à Mme Teissier de défendre une science astrologique, je regrette qu'elle soit si limitée dans ses analyses, qui sont seulement des souvenirs.

 Je dois terminer en m'interrogeant à mon tour sur les raisons de cette thèse qui représente un effort considérable et de larges connaissances. Elles sont clairement exprimées. Nous ne savons plus découvrir l'unité de l'univers et nous devons de toute urgence revenir à des modes de connaissance capables de nous découvrir, à travers notre expérience vécue, sensuelle et émotive autant qu'intellectuelle, les mondes que nous a cachés la science. Il faut aller au-delà de la raison et de ses calculs ; il faut comprendre —mais en ne donnant pas à ce mot le sens que lui a donné Weber— ,en participant, en appartenant. Et nous allons heureusement sortir de ce scientisme et rencontrer que c'est l'être tout entier qui doit produire la connaissance, et pas seulement l'esprit.

 On a reproché sans raison à Mme Teissier de consacrer sa thèse à une fausse science; en fait, elle ne l'a consacrée qu'à elle-même. Aux docteurs en Sorbonne de décider dans quelles conditions on peut écrire une thèse sur soi-même.

     


 

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[Docteur Tessier ?]

 
 

     

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