« Redonner ses titres de noblesse à l'astrologie, enseigner cet art à la Sorbonne :  voilà pour quoi je lutte ! »
(source : "Mes combats", site E. Tessier)

   

La sociologie sous une mauvaise étoile
Christian Baudelot et Roger Establet
professeurs de sociologie à l'Ecole normale supérieure et à l'université d'Aix-en-Provence.
LE MONDE, 17.04.01

LA braderie médiatique dont l'université Paris-V vient d'être le théâtre et l'actrice principale est d'abord une faute collective, commise en connaissance de cause.

Il faut, pour décerner un doctorat, l'accord et la coopération de plusieurs parties : le directeur de la thèse qui accepte le sujet et décide du moment où elle lui paraît achevée, les membres du jury choisis par le même directeur qui cautionnent d'avance, en acceptant de siéger, le sérieux académique de l'entreprise, les deux rapporteurs qui, après avoir lu la thèse, rédigent et signent un document garantissant la qualité intellectuelle du travail en fonction des normes professionnelles en vigueur dans la discipline ; le directeur de l'école doctorale, représentant le conseil scientifique, qui délivre l'autorisation de la soutenance au vu des rapports précédents et de toutes les informations qui ont pu lui parvenir sur le travail accompli ; le président de l'université, enfin, qui engage la responsabilité de son établissement et, au-delà, la personnalité morale de l'université.

Manifestement, les contrôles n'ont pas fonctionné à l'occasion de la soutenance de thèse de l'astrologue Elizabeth Teissier, samedi 7 avril à la Sorbonne. Il a sans doute suffi d'arguer de son statut de professeur, de s'entendre entre soi et de faire confiance à la lâcheté universitaire ambiante, faite de petits compromis et de micro-reniements, pour que l'entreprise aille jusqu'à son terme.

Qu'importe la sociologie, qu'importe l'Université, pourvu que chacun puisse cultiver en paix son petit champ ? Qu'ils le veuillent ou non, les effets et les méfaits d'une telle décision rejailliront pourtant durablement sur tous ceux qui s'en trouvent collectivement responsables.

Des astrophysiciens réputés et des autorités scientifiques ont déjà attiré l'attention du président sur l'imposture que constituait la réhabilitation de l'astrologie par l'Université.

Mais, dira-t-on, il s'agissait de sociologie et non d'astrologie. Depuis plus de cent ans, en France et à l'étranger, des esprits rigoureux s'efforcent de montrer qu'une analyse objective des faits sociaux est possible. Grâce à la diversité de leurs orientations et des moyens mis en œuvre, grâce surtout à leur invention créatrice, ils ont progressivement réussi à donner ses lettres de noblesse à la sociologie, en constituant un corps de savoir sur le monde social qui soit objectif et dans l'ensemble cumulatif.

Cette démarche qui consiste à traiter des faits sociaux comme des choses, à supposer que la réalité sociale peut être l'objet d'une connaissance rationnelle, a toujours rencontré et suscite aujourd'hui encore de fortes résistances de la part de tous ceux qui refusent les principes de l'objectivation. Au sein même de la discipline, Michel Maffesoli, le directeur de thèse d'Elisabeth Teissier, s'est toujours singularisé par ce refus en privilégiant le culte du vécu, l'interprétation gratuite et l'analyse spontanée.

En tentant d'accréditer l'équivalence entre l'astrologie et sa sociologie, il tombe lui-même dans le piège qu'il a tendu à des autorités académiques somnolentes. "La superstition, écrivait Voltaire, est à la religion ce que l'astrologie est à l'astronomie, la fille très folle d'une mère très sage." On saura désormais que le maffésolisme est "la fille très folle" de Madame Soleil. L'autodérision vient à point sanctionner la dérision.

Mais on ne peut se satisfaire d'une aussi complaisante punition. Aux antipodes d'une cérémonie mondaine, la soutenance d'une thèse n'est pas seulement un rituel vénérable. Pour les apprentis chercheurs, elle constitue une étape essentielle dans l'accès à un marché professionnel très concurrentiel.

La quasi-totalité de nos collègues en sont bien conscients, qui se montrent très exigeants sur la qualité des doctorats qu'ils dirigent ou qu'ils ont à évaluer. Et les jeunes docteurs rivalisent d'efforts pour réunir des données originales, les soumettre à des traitements rigoureux et les ordonner dans une culture sociologique sans cesse enrichie. C'est à elles et à eux, nos étudiant(e)s, que nous pensons d'abord en exprimant notre indignation devant cette mascarade mondaine. Il est insupportable que leurs efforts et leurs titres risquent d'être dévalués par une telle braderie médiatique.

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[Docteur Tessier ?]

     

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