|
Après
un brillant parcours scientifique, Pierre Bourdieu va s'engager dans
le mouvement social, tout en gardant une posture d'intellectuel «
au-dessus de la mêlée. »
Alain
Nogues/Sygma
Pierre Bourdieu naît en 1930,
à Denguin (Hautes-Pyrénées). Son père est fonctionnaire des Postes.
Il entre à l'École normale supérieure en 1951. Provincial, d'origine
modeste, P. Bourdieu est confronté dans cette école à la culture
des bourgeois. Selon certains de ses camarades de l'ENS, de cette
expérience daterait un ressentiment à l'encontre du monde parisien
intellectuel (1). Contrairement à beaucoup
de ses pairs, il n'entre pas au Parti communiste, et manifestera toujours
une méfiance à l'égard des appareils. Agrégé de philosophie en 1955,
il part en Algérie où il est assistant à la faculté des lettres d'Alger.
Il mène alors ses premiers travaux, sur les transformations sociales
de l'Algérie. Rentré en France en 1961, il enseigne à la Sorbonne,
puis à l'université de Lille.
En 1964, il est nommé directeur d'études à l'École pratique des hautes
études (future EHESS) : il publie ses premières enquêtes
sur l'école et les pratiques culturelles (Les Héritiers. Un art
moyen). P. Bourdieu est à cette époque sous l'aile de Raymond
Aron (lui aussi normalien et agrégé de philosophie devenu sociologue),
qui voit en lui un futur «grand» et lui confie la codirection du Centre
européen de sociologie historique. Les deux hommes se brouilleront
en 1968 et P. Bourdieu fonde son propre laboratoire. La crise
de mai 1968 le laisse sceptique : il n'en publiera une analyse
qu'en 1984 (dernier chapitre de Homo academicus). À partir
de cette époque, P. Bourdieu poursuit un objectif : fonder
son école de sociologie. Il lance de nombreux travaux à partir de
son centre à l'EHESS, crée en 1975 sa propre revue, Actes de
la recherche en sciences sociales. En 1979, il publie La
Distinction, son ouvrage majeur, et reçoit en 1981 la consécration
en devenant titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France
(le CNRS lui décernera sa distinction suprême, la médaille d'or, en
1993). Une ascension qui s'est réalisée au prix de ruptures, plus
ou moins brutales, avec nombre de ses collaborateurs les plus illustres :
J.-C. Passeron, L. Boltanski, C. Grignon, J. Verdès-Leroux...
Sa position ancrée dans l'Hexagone, P. Bourdieu va se tourner
vers le marché intellectuel international, notamment les Etats-Unis,
où il fait de fréquents voyages (universités de Princeton, de Pennsylvannie).
De fait, il est un des intellectuels les plus reconnus en Amérique,
où son uvre suscite une quantité considérable de commentaires.
Les années 90 marquent un changement de stratégie. En 1989-1990, il
préside une commission de réflexion sur les contenus de l'enseignement.
L'ouvrage collectif La Misère du monde (1993) est présenté,
en quatrième de couverture, comme «une autre façon de faire de
la politique». Lors des grèves de décembre 1995, il participe
à un «appel des intellectuels en soutien aux grévistes», apporte
son appui au mouvement des chômeurs de janvier 1998, ainsi qu'aux
intellectuels algériens. Il part en croisade dans la presse (2). Il passe du statut de sociologue à celui de prophète, fustigeant
les experts, les journalistes, les «essayistes de cour» et
à travers eux, le néolibéralisme.
Notes
(1) D. Swartz, Culture and Power : The Sociology
of Pierre Bourdieu, University of Chicago Press, 1997. Voir aussi
le livre d'entretien avec L.J.D. Wacquant, Réponses, Seuil,
1992.
(2) «Pour une gauche de gauche»,
Le Monde, 8 avril 1998.
Le « champ » bourdieusien
Le
camp de base académique
- Le Collège de France : P. Bourdieu est titulaire de la chaire
de sociologie.
- L'Ecole des hautes études en sciences sociales : il y est directeur
d'études depuis 1964.
- Le centre de sociologie européenne : fondé par P. Bourdieu,
rattaché au Collège de France, à l'EHESS et au CNRS.
Revues
et éditions
- Actes de la recherche en sciences sociales : fondée
par P. Bourdieu en 1975, éditée par le Seuil.
- Liber, revue internationale des livres, dirigée par P. Bourdieu.
- La collection « Raison d'agir », émanation de la revue Liber :
publie des pamphlets. Par exemple, Les Nouveaux Chiens de garde
(S. Halimi).
- La collection « Le sens commun », aux Éditions de Minuit.
La
nébuleuse de la « gauche de gauche»
- Attac : Association pour une taxation des transactions financières
pour l'aide aux citoyens, fondée en juin 1998.
- AC ! (Agir ensemble contre le chômage), fondée en 1993.
- Club Merleau-Ponty, fondé en 1995, contre le libéralisme et la pensée
unique.
Des
médias «amis»
- Le Monde diplomatique : mensuel dirigé par Ignacio Ramonet,
en pointe dans le combat contre « la pensée unique ».
- Les inrockuptibles : l'hebdomadaire culturel confie à P. Bourdieu
la rédaction en chef d'un numéro spécial en décembre 1998.
|
|