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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

 LA MORT DE PIERRE BOURDIEU
 Le destin d'un franc-tireur.




PATRICK BERTHOMEAU, Sud-Ouest, 25-27/01/02.

 


  

Le sociologue français, professeur au Collège de France et compagnon de route du mouvement antimondialiste, s'est éteint à Paris à l'âge de 71 ans.

epuis quelques mois, Pierre Bourdieu s'était fait plus rare dans le débat social et politique. Ce n'est qu'hier, à l'annonce de son décès, que l'on a su qu'il avait été rattrapé par la maladie. Cette figure centrale du paysage intellectuel français et international possédait de solides racines béarnaises. Né à Denguin, à une douzaine de kilomètres de Pau, en 1930, il avait fait le parcours sans faute des élèves brillants repérés par l'école de la République, ce qui le conduira du lycée de Pau à Normale Sup.
Agrégé de philosophie en 1955, il est vite récupéré par l'Université. En 1964, il est directeur d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales et, en 1981, il connaît la consécration suprême : il est élu à la chaire de sociologie du Collège de France où il enseignera jusqu'à l'année dernière. Cette position éminente dans le système éducatif ne l'empêchera nullement de se montrer très critique à son égard. Son premier coup d'éclat remonte à 1964 : cette année-là, il publie avec Jean-Claude Passeron « les Héritiers », ouvrage dans lequel sont mis à nu les mécanismes qui font de l'université une machine à reproduire les inégalités sociales.

 UNE VOIE SINGULIERE
La contestation, qui va culminer en 1968 et lors des années suivantes, se réclamera souvent de ce travail. Bourdieu, cependant, s'en tiendra à l'écart. Il poursuit sa tâche, préférant l'enquête sur le terrain au débat purement idéologique. « La Reproduction », en 1970, « la Distinction », en 1979, « Homo Academicus », en 1984, « la Noblesse d'Etat », en 1989, sont autant d'étapes dans un projet d'analyse critique de la société contemporaine.

Parallèlement, il approfondit son travail théorique, précise des concepts qui lui sont propres (le champ, l'habitus, l'opposition dominant-dominé), mais demeure résolument sur le terrain scientifique. Ne se rattachant à aucun des courants alors dominants, marxiste ou structuraliste, il suit une voie singulière sans pour autant faire école.

Bien qu'ayant anecdotiquement soutenu en 1980 la candidature de Coluche à l'élection présidentielle, c'est au cours des années 90 qu'il va se résoudre à intervenir publiquement, à paraître dans le champ politique. Il sort du bois en 1993 à l'occasion de la publication d'un gros ouvrage, « la Misère du monde », dans lequel il livre la parole brute, non aseptisée, des laissés pour compte. En 1995, il analyse et théorise le mouvement social de décembre et publie dans « le Monde » un article qui fait date, « Pour une gauche à gauche de la gauche ».

 DE MILLAU A SEATTLE
Cette radicalisation de son expression, qui fait d'un franc-tireur un porte-parole, va le propulser sur le devant de la scène. Un courant nouveau du syndicalisme (SUD) se réclame de sa pensée. Il participe au mouvement antimondialiste qui prend corps. On le voit à Millau, auprès de José Bové, à Seattle... Parallèlement, il développe une critique virulente des médias qui fait mouche, bien que péchant par excès d'idéalisme. Il prend des coups, réplique et débusque quelques lièvres qui courent encore.

En une fin de siècle où l'on parlait beaucoup de l'effacement des intellectuels dans le débat social et politique, Pierre Bourdieu en a restauré l'image et, paradoxalement, le pourfendeur des médias est devenu personnage médiatique. Revanche du réel sur la science, mais qui ne pouvait surprendre quelqu'un qui disait volontiers que « la sociologie est une science modeste ».

Mais s'il a été écouté, si sa crédibilité reste grande, c'est bien parce qu'on ne saurait l'identifier à un batteur d'estrade, un opportuniste prêt à sauter dans le train de la mode du jour. Il a, tout au long de son parcours, privilégié l'enquête, le travail sur le terrain et perfectionné les outils capables d'appréhender la réalité et de nous la faire comprendre.

Et comme il avait beaucoup étudié pour en arriver là, s'était nourri autant de Pascal que de Max Weber et des sociologues américains, il pouvait dire l'année dernière encore : « Je suis l'héritier de tellement de personnes... C'est peut-être pour cela que je suis original. »
    


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