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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

  Le champ social. Soutien aux exclus, à Bové...
 Penseur «anti», militant en marge.




Par Christian LOSSON, Vittorio FILIPPIS, Libération, le vendredi 25 janvier 2002.

 


 

il se voulait un «militant-chercheur». Il détestait l'étiquette d'intellectuel ou de philosophe, tolérait celle de «sociologue engagé». «Pour lui, la sociologie se voulait une discipline qui peut aider à comprendre la société, donc à la transformer», résume un proche du Collège de France. Un moyen et une raison d'agir, un outil critique pour donner de l'écho à la contestation de la mondialisation en général et des mouvements sociaux en particulier.

C'est ainsi que l'auteur de la Misère du monde se dresse, ce 12 décembre 1995, au milieu d'un parterre de cheminots grévistes, à Paris. Il apporte alors son «soutien à tous ceux qui luttent contre la destruction d'une civilisation.» Il parle de chance «historique pour tous ceux qui refusent la nouvelle alternative : libéralisme ou barbarie». Il jette des ponts entre les acteurs d'un renouveau contestataire et les penseurs de la sphère intellectuelle. «Son apport fut décisif, note Pierre Khalfa, du syndicat SUD. Il a légitimé un combat contre l'économisme ambiant.» Il entrouvre une porte. «Il nous a inspirés pour notre "Appel des économistes pour sortir de la pensée unique", explique ainsi l'inspirateur de ce manifeste, Hoang-Ngoc Liêm. Sans lui, la contestation ne se serait sans doute pas structurée de la même façon.»

Hors d'Attac. C'est lui qui réactive en France les «Etats généraux des mouvements sociaux», en 1996.. qui s'éteignent l'année suivante. Mais Attac, initiée en 1998, s'en inspirera avec ses comités locaux. Bourdieu restera cependant en marge de l'association antimondialisation. Ses éditions Liber/Raisons d'agir sont membres fondateurs d'Attac, des fidèles y figurent au conseil d'administration. Mais «Bourdieu la jugeait trop réformiste, trop proche des pouvoirs, assure Annie Pourre, une proche. Il n'aimait pas le concept d'éducation populaire ; le savoir se passait par l'échange, non par la modélisation.»

Surtout, l'homme aime l'autonomie, la décentralisation, les réseaux. Peut-être que Bourdieu est, comme l'assure Annie Pourre, un «libertaire dans l'âme» ? Le sociologue s'échine à donner un visage aux mouvements des sans-droits, des exclus : les sans-papiers, les sans-logement, les sans-emploi. En janvier 1998, à l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, occupée par les chômeurs, il salue «un miracle social». Bien que «mort de trac», il multiplie les interventions publiques. Il est de ceux qui, en octobre 1998, mettent en échec l'AMI, l'Accord multilatéral sur l'investissement. En juin 2000, il se rend à Millau, où le procès de José Bové devient un de ces «lieux de convergences» qu'il défend.

Pairs agacés. Bourdieu, de fait, alimente la critique du néolibéralisme. Quitte à agacer des intellectuels qui brocardent «la fuite en avant du savant», au «discours populiste de la révolte». Ou à froisser des syndicats dont il dénonce «la passivité». «Il n'était pas un compagnon de route complaisant. Toujours critique, y compris sur le mouvement contestataire», dit une syndicaliste. On lui reproche parfois de ne pas descendre plus dans la rue ? «Il était tout sauf un mandarin, son antithèse : simple, timide, disponible», assure Agnès Bertrand, de l'Observatoire de la mondialisation. «On me dit dinosaure, un néoradical, confiait-il, parfois, à des amis. Je suis seulement fidèle à mes valeurs naturelles.»

Au fur et à mesure que les mouvements sociaux s'internationalisent, Bourdieu continue à vouloir partager ses savoirs. Il envoie des textes aux contre-sommets, à Davos ou au Québec, mais met en garde, en privé, contre le «tourisme militant». «Il s'est toujours gardé de tout simplisme», dit un de ses fidèles. Pourfendeur de l'Europe financière et monétaire, mais en faveur d'une «régulation supra nationale» (il lance en mai 2000 les objectifs d'un «Mouvement social européen»). Dégommeur de la mondialisation «inégalitaire», mais pour un nouvel internationalisme de la «résistance». Procureur de la «troïka néolibérale Blair-Jospin-Schröder», mais désireux de restaurer la politique. Au fond, assure Annie Pourre, il collait à Gramsci (fondateur du Parti communiste italien) : «Allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de l'action».

(1) Ce projet avorté accordait des pouvoirs considérables aux multinationales.
   


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