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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

  Le champ sociologique. École, réseau et reconnaissance
  Des disciples et des ennemis.




Par Jean-Baptiste MARONGIU, Libération, Le vendredi 25 janvier 2002.

 


 

P ourquoi le sociologue de la domination symbolique est-il arrivé à occuper brièvement, autour de 1995, une position dominante dans le débat public? De quelle nature est le pouvoir (chaire au Collège de France, revue, collections dans l'édition, disciples...) d'un pourfendeur des pouvoirs? Comment quelqu'un qui n'aime pas les médias qui ne l'aiment pas non plus, arrive-t-il à se faire entendre par le plus grand nombre? On a évoqué un «système-Bourdieu», et une manière de fédérer les énergies, pour les faire tourner en machine de guerre. Et on a cité la fidélité à toute épreuve de ses quelques disciples: Patrick Champagne, théoricien des sondages, Loïc Wacquant, à cheval entre la France et les Etats-Unis, l'historien Christophe Charle ou l'anthropologue Louis Pinto, tous collaborateurs réguliers de la revue Actes de la Recherche en sciences sociales, où ils ont pris la relève des anciens cofondateurs de 1975, tous brouillés avec Pierre Bourdieu, plus ou moins violemment et depuis longtemps.

Séparations. Avant d'avoir des disciples et de faire école, Bourdieu a eu des collègues et des amis, des égaux en somme, avec qui le souci des avancées communes dans une discipline en pleine expansion a primé ­ pour un temps ­ sur les problèmes de transmission, d'héritage ou de préséance. Ce n'est qu'à partir d'une visibilité grandissante de l'oeuvre de Bourdieu que les problèmes ont commencé, avec une série impressionnante et douloureuse de déchirements, de séparations et de guerres intestines. En revanche les rapports entre le «bourdieusisme» et les autres écoles sociologiques françaises ayant pignon sur rue (celle de «l'acteur social» d'Alain Touraine, de «l'individualisme méthodologique» d'Alain Boudon ou celle se rapportant à l'oeuvre inclassable d'Edgar Morin) sont fondés sur une paix armée sinon sur un respect mutuel qui n'a pas donné lieux à des affrontements spectaculaires, les uns et les autres se contentant de ne pas discuter pour ne pas se disputer.

Au commencement, Pierre Bourdieu n'est certes pas entouré de médiocres : dans le Centre de sociologie européenne qu'il a constitué, véritable creuset de son oeuvre mais aussi de toute une génération brillantissime de chercheurs, on retrouve Jean-Claude Passeron, Jean-Claude Chamboderon, Robert Castel, Luc Boltanski ou encore Claude Grignon. L'un après l'autre, ils prendront leurs distances et pas seulement pour se mettre à leur compte et voler de leurs propres ailes. L'attaque la plus violente viendra du livre d'une ancienne disciple, Le savant et la politique. Essai sur le terrorisme sociologique de Pierre Bourdieu de Jeannine Verdès-Leroux (Grasset, 1998). Dans cette histoire, il y a, sûrement, des différences théoriques qui émergent avec le temps, mais aussi comme une réaction à une tendance certaine de Bourdieu à tirer la couverture à lui, et à garder la clé de la maison. C'est Bourdieu qui fonde et dirige au début des années soixante la collection «Le sens commun» aux éditions de Minuit, d'où il partira pour le Seuil à la fin des années 1980. Et c'est lui aussi qui reste l'«héritier» de quelques ouvrages fondamentaux dont pourtant il n'est qu'un coauteur. La première rupture sera celle avec Jean-Claude Passeron, avec qui il a formé un couple légendaire de chercheurs et signé notamment les Héritiers (Minuit, 1964) et la Reproduction (Minuit, 1970). Les démêlés avec Luc Boltanski semblent se placer sur un plan plus théorique, comme en témoigne l'originalité de son oeuvre par rapport à un certain déterminisme du patron bourdieusien. Aussi Robert Castel (à l'instar de Jean-Claude Passeron) peut-il prendre ses distances d'une manière beaucoup moins véhémente, pour poursuivre sur une voie de la sociologie qui laisse plus de place à l'histoire que ne l'entend Bourdieu. Boltanski, Castel et Chamboderon avaient signé ensemble Un art moyen (Minuit, 1965).

Un carré de proches. Directeur d'Etudes, en 1964, à l'Ecole pratiques des hautes études, Bourdieu est ­ à 34 ans ­ parmi les plus jeunes enseignants dans l'histoire de l'institution. Mais son statut universitaire est en deçà de sa célébrité, laquelle va croissant jusqu'en 1981, année où, présenté par Michel Foucault, il est nommé professeur au Collège de France. Pour ce fils d'un petit fonctionnaire béarnais des PTT, c'est la consécration et la constitution autour de la revue Actes de la Recherches en sciences sociales d'un réseau international de chercheurs, en Europe et aux Etats-Unis. La différence de génération et de statut font que les relations entre Bourdieu et ses collaborateurs évitent l'animosité d'autrefois. Pour la première fois, Bourdieu a une véritable école, qui forme un carré autour du maître et attaque et se défend en groupe. Une envie légitime de compter l'anime, et une sorte de conscience malheureuse et parfois paranoïaque de ne pas être reconnu à sa juste valeur. A la suite de la publication de la Misère du monde (Seuil, 1993), une nouvelle saison semble s'ouvrir pour la sociologie avec le sentiment de pouvoir à nouveau dire quelque chose, après avoir été tétanisée par la crise économique débutée en 1973. Inspirés par Bourdieu, Christophe Charle et Patrick Champagne créent l'Areser (Association de recherche sur l'enseignement supérieur et la recherche). A la fin des grèves de 1995, une trentaine de chercheurs proches de Bourdieu, fondent «Raisons d'agir», qui va entrer en synergie avec le Centre de sociologie de l'éducation et de la culture (créé par Bourdieu lui-même). Il s'agit de petites structures, des plus normales dans le monde de la recherche et de l'enseignement. Mais c'est finalement la création de la branche éditoriale de Raisons d'agir auprès du Seuil, avec le succès que l'on sait, qui donnera l'impression que Bourdieu n'était plus un prophète désarmé.
  


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