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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

 MORT DE PIERRE BOURDIEU
 Un sociologue et un militant engagé.




Par Nadjia Bouzeghrane, El watan, 26/01/02, dernière minute.

 


 

Pierre Bourdieu est décédé mercredi soir à l’âge de 71 ans d’un cancer. Titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France depuis 1981, Pierre Bourdieu était reconnu comme ayant renouvelé la sociologie dans les années 60.

Élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de philosophie, il avait commencé sa carrière universitaire à la Faculté des lettres d’Alger en 1958. Ses premiers travaux étaient consacrés à l’Algérie, «Sociologie de l’Algérie» en 1958, «Travail et travailleurs en Algérie» en 1963, et «Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle en Algérie» avec Abdelmalek Sayad en 1964. Il avait été à l’origine de la création du CISIA à la fin de l’année 1993 (nous reviendrons sur l’entretien qu’il nous avait alors accordé) en solidarité avec les intellectuels algériens victimes du terrorisme islamiste. Ses premiers sujets d’étude ont été l’éducation, la culture, l’art. La production intellectuelle de Pierre Bourdieu et son engagement militant se rejoignaient. Dans un entretien au Monde en 1992, il expliquait : «Ce que je défends, c’est la possibilité et la nécessité de l’intellectuel critique. Il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. L’intellectuel en est un et de première grandeur.» Ces dernières années, il s’était penché sur l’influence et le pouvoir des médias. Pierre Bourdieu reprochait aux médias d’être soumis à une logique commerciale. L’homme, engagé dans le débat social, était monté en première ligne lors des grèves sociales de décembre 1995, il avait pris position contre la mondialisation. Il voulait «une gauche de gauche». «Dix ans de pouvoir socialiste ont porté à son achèvement la démolition de la croyance en l’Etat et la destruction de l’Etat-providence entreprise dans les années 70 au nom du libéralisme», déclarait-il au Monde en 1992. Dans un texte relatif aux «objectifs d’un mouvement social européen» publié au printemps 2000 par Le Monde, Pierre Bourdieu écrivait : «Tout ce que l’on décrit sous le nom à la fois descriptif et normatif de “mondialisation“ est l’effet, non d’une fatalité économique, mais d’une politique, consciente et délibérée, celle qui a conduit les gouvernements libéraux ou même socio-démocrates d’un ensemble de pays économiquement avancés à se déposséder du pouvoir de contrôler les forces économiques, et celle surtout qui est délibérément organisée dans les “green rooms“ des grands organismes internationaux, comme l’OMC, ou au sein de tous les “networks“ d’entreprises multinationales… qui sont en mesure d’imposer, par les voies les plus diverses, juridiques notamment, leurs volontés aux Etats.».


MEDIASCOPIE
La passion algérienne de Bourdieu.

Par Belkacem Mostefaoui, El watan, 30/01/02, dernière minute.

Avec le décès du sociologue français Pierre Bourdieu, l’Algérie a perdu un de ses défricheurs de fond qui a mis sa passion du pays au service de la production d’un savoir fécond. De sa pérégrination active, six années durant à la jonction des années 50/60, entre l’université d’Alger et le pays profond, Bourdieu a forgé les premières bases solides de son œuvre monumentale.

Ses chemins de crête pour la construire, il les a choisis sous une règle cardinale : «Ce que je défends, c’est la possibilité et la nécessité de l’intellectuel critique. Il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. L’intellectuel en est un, et de première grandeur.» Par ces temps de répression soudaine de la liberté d’expression sous la férule de l’arsenal pénal de Ahmed Ouyahia (Dilem et Salima Tlemçani soumis aux questions de la police pour le compte de l’armée), il est revigorant de garder en mémoire que Bourdieu a été le promoteur courageux et infatigable d’un soutien conséquent aux intellectuels, artistes et journalistes algériens, par le biais du Cisia à partir de 1994. Le sociologue a mis alors son poids d’autorité morale et intellectuelle pour réduire la force de nuisance de la peste intégriste. Ce qui ne lui a pas interdit, il y a une année de cela, de signer un appel dans Le Monde pointant la tentation totalitaire de nos généraux. Avant cela, dans le cheminement de sa force tranquille, il a offert sa solidarité aux anthropologues défricheurs du domaine berbère : Mouloud Mammeri, Tassadit Yacine et d’autres, ont trouvé, grâce à lui, dans la prestigieuse maison des sciences de l’homme à Paris, un havre pour leurs travaux et la revue de référence qu’est devenue Awal. Ce sont ses mots : «L’Algérie est ma seconde patrie.» Rapatrier aujourd’hui des lueurs de l’œuvre de Pierre Bourdieu, c’est aussi réduire l’agitation — qui risque d’être durablement improductive — des scènes politique et médiatique face aux convulsions du mouvement social parti de Kabylie ces dix derniers mois. Ils gagneraient, les ténors de ces scènes, à méditer une leçon magistrale de Bourdieu, celle de l’humilité comme moteur de savoir. Humilité racontée par cette anecdote dans l’un de ses tous derniers livres (Les structures sociales de l’économie, Le Seuil 2000) : «Je me souviens, écrit-il, être resté de longues heures à harceler de questions un paysan kabyle qui essayait de m’expliquer une forme traditionnelle de prêt de bétail parce qu’il ne m’était pas venu à l’esprit que le prêteur put, contre toute raison “économique“, se sentir l’obligé de l’emprunteur au nom de l’idée que celui-ci assurait l’entretien d’une bête qu’il aurait fallu nourrir en tout cas.»
   


Pierre Bourdieu

       
 

   
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