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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

Des textes sur et autour

 
      Gérard Courtois
« Esprit » contre Bourdieu.
 
    Le Monde, 24/07/1998.  
   

 

olivier Mongin attaque vivement le «populisme de gauche» du sociologue, et prône un renforcement de la démocratie représentative - L'APRÈS-1989, LES NOUVEAUX LANGAGES DU POLITIQUE d'Olivier Mongin. Hachette-Littératures, 264 p., 98 F. ESPRIT No 244, juillet, 228 p., 87 F. 

pointg.gif (57 octets) Ce n'est évidemment pas la première fois que le débat intellectuel, en France, tourne au pugilat. La dernière livraison de la revue Esprit en offre une démonstration saisissante, avec la publication d'une réponse d'Olivier Mongin et Joël Roman, respectivement directeur et rédacteur en chef de la revue, aux attaques dont ils sont l'objet de la part de Pierre Bourdieu et de ses amis. À l'évidence, Le Décembre des intellectuels (éd. Liber-Raisons d'agir, 1998), consacré par le professeur au Collège de France au mouvement social de novembre-décembre 1995, a provoqué chez les deux animateurs d' Esprit une poussée de bile qu'ils ont décidé de ne pas ravaler. 
Dénonçant, chez Bourdieu et ses «sbires», «une pratique délibérée du mensonge et de la falsification qui laisse pantois», Mongin et Roman sont virulents : «Ce libelle ne pratique pas seulement des amalgames, il ruine les règles minimales de la déontologie intellectuelle. (...) Loin d'être une contribution à l'histoire du mouvement ou tout simplement à la compréhension des événements, c'est à illustrer une thèse préconstruite que sont systématiquement utilisés nos propos, avec en outre des débordements curieux qui témoignent davantage d'une mentalité de flic que d'un scrupule de sociologue. «Ce qui est en jeu, à leurs yeux, n'est pas une «stratégie de contradiction politique», mais une volonté de «caporalisation de la vie intellectuelle» qui ne dédaigne pas, en outre, «les bénéfices narcissiques de la radicalité». Cette saine colère va cependant au-delà du seul règlement de comptes. Les deux animateurs d' Esprit esquissent une critique en règle de ce «populisme de gauche, voire d'extrême gauche, qui ne le cède en rien à celui de droite quant à sa nocivité». Revenant sur l'ouvrage publié en 1993 par Bourdieu et son équipe, La Misère du monde (Seuil), ils soulignent le changement de perspective par lequel «la sociologie de la domination se faisait soudain humble servante de la parole de ceux d'en bas, reconnaissant implicitement la vanité d'un projet de démystification en face de la réalité plus tangible de l'oppression. «Et ils ajoutent : «Le populisme politique professé actuellement par Pierre Bourdieu est anticipé, en fait, par un populisme théorique, par la réduction de la «science» à n'être plus qu'une posture d'énonciation, une instance de légitimation de la plainte qui monte du corps social. C'est une fuite en avant produite par une impasse théorique jamais reconnue comme telle.» 
 
pointg.gif (57 octets) MÉDIATION POLITIQUE 
À cet angle d'attaque, Mongin et Roman en ajoutent un second : la «connivence entre les médias et l'entreprise de Bourdieu» et sa «fonction plus directement politique : couper court à toutes les médiations politiques, associatives, syndicales, institutionnelles par lesquelles s'organise et se diversifie la vie publique». C'est bien là, insistent-ils non sans justesse, «le fonds du populisme : ruiner toute possibilité de médiation pour établir une communication immédiate avec un peuple unifié par ce fantasme»

pointg.gif (57 octets) Or la restauration de l'idée même de «médiation politique» est au centre du combat mené par Olivier Mongin, comme en témoigne son dernier ouvrage. Repartant de la chute du mur de Berlin en 1989, le directeur d' Esprit entend comprendre comment cet événement majeur, loin d'inaugurer l'apothéose espérée de la démocratie, a laissé place à «une idéologie de l'impuissance politique», de «l'épuisement de l'Etat» et de la «fin de l'Histoire». Tout contribue, à ses yeux, à ce redoutable sentiment de déréliction : le brouillage des frontières et la «fragmentation spatiale croissante», le «divorce «entre développement économique et démocratie, l'invasion du langage politique par les rhétoriques de l' «identitaire» et du «tout-économique», du droit et de la morale, qui semblent, chacune à sa façon, signer «la fin du politique». À quoi s'ajoute l'épuisement des mécanismes d'intégration civique par la République et le travail. Ou encore la contestation des systèmes traditionnels de la représentation politique par une «démocratie d'opinion» trop volontiers confondue avec la «démocratie directe». Ou enfin cette superposition, spécifique à la France, de deux essoufflements historiques : la fin du «cycle long de la démocratie (1789-1989) «et le dénouement du «cycle court» de la modernisation autoritaire sous la Ve République.

pointg.gif (57 octets) Ce foisonnement de pistes et d'intuitions laisse cependant perplexe. Privé, là, de l'aiguillon de la colère, Mongin laisse libre cours aux volutes de sa réflexion. Le pamphlet contre Bourdieu l'obligeait à condenser. Cet essai lui donne le loisir de diluer son décryptage. La vivacité de la riposte conduisait à un plaidoyer vigoureux en faveur d'une «volonté politique réformiste». Les circonvolutions de l'analyse débouchent sur des credo un peu frustrants. «La réponse à l'affaiblissement de la démocratie représentative ne réside ni dans le sacre des experts ni dans la démocratie directe, mais dans un approfondissement du concept de représentation, au sein d'un espace public vivant», écrit Olivier Mongin. Certes. Mais encore ?

 
Pierre Bourdieu      
    

   
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