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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

Des textes de l'impétrant

 
    Pierre Bourdieu Le projet des Villes-Refuges.  
    pierre bourdieu
Parlement International des Écrivains.
 
   

 
Libre parole, libres media : des droits menacés - Audition publique - Commission des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense - Sous-commission des droits de l'homme - Parlement européen, Bruxelles, 25 avril 1996.

Si nous avons créé le Parlement International des Ecrivains en juillet 1994, c'était dans le double but d'organiser, face à la multiplication des atteintes à la liberté de créer et de penser, une solidarité active entre intellectuels et écrivains du monde entier, mais aussi pour inventer de nouvelles formes d'intervention des intellectuels dans l'espace public.
C'est pourquoi, dès notre première rencontre à Lisbonne en septembre 1994, nous avons appelé à constituer un vaste Réseau de Villes Refuges, afin d'accueillir les écrivains persécutés à travers le monde. Jamais en effet, les conditions de la libre création et de la pensée libre n'ont été aussi menacées, par la violence politique ou religieuse. Face à cette violence, les écrivains et les intellectuels ne peuvent plus se contenter de pétitions de principe et de protestations. Leur tâche prioritaire est aujourd'hui de répliquer à la censure en créant de nouveaux espaces de liberté, d'échange et de solidarité. C'est le sens du projet des Villes Refuges.  

pointg.gif (57 octets) Défendre la liberté de créer

Multiplier les Villes Refuges, c'est redonner droit de cité aux créateurs frappés d'interdit, briser leur isolement en créant autour d'eux de nouvelles solidarités, prendre en charge la défense non seulement des individus mais aussi de leurs oeuvres, en favorisant lectures, traductions, diffusions. Mais c'est aussi affirmer une autre conception de la démocratie et de la citoyenneté. Multiplier les Villes Refuges, ce n'est pas seulement faire acte de solidarité, c'est aussi affirmer qu'il existe des lieux dans le monde où la citoyenneté et la démocratie sont indissociables de la liberté de créer. Et c'est pourquoi ce mouvement en faveur des Villes Refuges n'est pas seulement un mouvement d'intellectuels, il engage aussi une responsabilité politique.  
Le 31 mai dernier, plus de quatre cents villes européennes réunies en congrès ont rédigé et voté une Charte des Villes Refuges. Déjà Berlin, Strasbourg, Caen et Valladolid ont accueilli cette année leurs premiers écrivains; bientôt, ce sera Arles, Barcelone, Copenhague, Dombirn, Ferney-Voltaire, Göteborg, Graz, Helsinki, La Rochelle, Lausanne, Orléans, Saint-Jacques-de-Compostelle, Salzburg, Séville, Sintra, Stavanger, Venise, Vienne...  
Le 21 septembre 1995, votre Parlement européen a adopté une importante résolution soutenant le Réseau des Villes Refuges, appelant les villes européennes à le rejoindre et demandant à la Commission européenne de prendre toutes les mesures pour soutenir financièrement ce réseau dès le budget 1996.  

pointg.gif (57 octets) Tâches multiples pour l'avenir

Enfin, les 21 et 22 mars dernier, le premier congrès des Villes Refuges réunissant les représentants de 25 villes européennes s'est tenu à Strasbourg.  
Ce congrès a permis à la fois de préciser et d'améliorer les conditions d'accueil des écrivains en Villes Refuges et les modalités de sélection de ces écrivains. Il s'est doté d'un groupe de contact permanent, embryon d'une future Association Internationale des Villes Refuges, chargée :  

  • d'intensifier les relations entre les différentes Villes Refuges et de faciliter le montage de projets culturels communs, 
  • d'élaborer une politique d'édition et de diffusion des textes écrits par les écrivains dans les Villes Refuges et d'une façon plus générale de toute oeuvre ou produit artistique censuré, 
  • de fixer les statuts et le siège de la future Association Internationale des Villes Refuges, financée pour une part par les cotisations des Villes Refuges et d'autre part par des subventions de la Communauté européenne, 
  • de mettre en place un Observatoire de la Liberté de Création à Barcelone. 

pointg.gif (57 octets) Une instance vigilante

Cet Observatoire a pour objectif principal d'analyser et de faire connaître les nouvelles formes de censure et d'atteintes à la liberté de création. En effet, si la censure change, les instruments qui permettent de la mesurer sont restés les mêmes. Ce que recensent les statistiques existantes concerne essentiellement des atteintes à la liberté d'expression. (Ce qui explique que les listes du Writers in Prison Committee concernent à 80 % des journalistes et non des écrivains). Actuellement, aucune banque de données ne recense les atteintes à la liberté de l'imagination, les censures portant spécifiquement sur des oeuvres littéraires, scientifiques ou artistiques.  
Les objectifs de cet Observatoire peuvent être définis comme suit :  
1) Créer les outils d'une banque de données (accessible par Internet) recensant les atteintes à la liberté de création grâce à un réseau d'informateurs répartis sur l'ensemble de la planète. Ce réseau existe déjà en partie autour du P.I.E.  
2) Grâce à cette information en temps réel, permettre la mise en alerte de l'opinion sur les cas les plus importants.  
3) Doter le Réseau des Villes Refuges d'un système d'information fiable afin de mieux connaître la situation des écrivains susceptibles d'être accueillis au sein du réseau.  
4) Publier un rapport annuel sur l'état de la liberté de création dans le monde et éventuellement des études et monographies permettant d'approfondir et d'analyser les données fournies par l'Observatoire.  

pointg.gif (57 octets) Mesdames et Messieurs, si nous avons répondu aujourd'hui à votre invitation, c'est pour vous lancer un appel.  
La défense de la libre création et de la libre pensée, l'intensification des relations entre intellectuels et écrivains européens sont indissociables du combat pour la démocratie. A tous les avocats du repli sur soi, nous devons inlassablement expliquer que la liberté d'écrire et de créer n'est pas une tolérance concédée aux écrivains et aux artistes, mais l'oxygène même de la démocratie. La façon dont une société protège la fiction, l'art, l'imaginaire est aussi importante pour évaluer la vitalité d'une démocratie que le taux de participation aux élections, la pluralité des partis ou la simple liberté d'information.  
C'est pourquoi, si nous souhaitons consolider le travail accompli, l'appui du Parlement européen et de la Commission de Bruxelles nous est indispensable.  
Je vous remercie.

 

 
    

   
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