Gilles Balbastre : Journal d'un J.R.I ou les sherpas de l'info
pp. 63-185 in Alain Accardo (dir.) : Journalistes au quotidien, outils pour une socioanalyse des pratiques journalistiques, Éditions Le Mascaret, 1995. ISBN : 2-904 506-34-9 Transcription pour le MHM : Miguelito Lovelace

 

 

Samedi 8 janvier

9h – France 3 Nord-Pas-de-Calais à Lille

Le Procureur de Valenciennes est l’invité du « Face à la presse » de France 3 Nord-Pas-de-Calais. Depuis qu’il s’est illustré dans le cadre de l’affaire dite « OM-Valenciennes », Eric de Montgolfier est devenu un « homme public ». Des joueurs de l’Union Sportive de Valenciennes ont affirmé au printemps dernier que des responsables du club de Marseille leur ont proposé de l’argent pour « lever le pied » lors de la rencontre de championnat de France de football du 23 mai 1993.

Lors de cette émission, il répond à l’accusation du Ministre de l’Intérieur portée sur France 3, quelques jours auparavant, à « La marche du siècle ». Ce jour-là, Charles Pasqua avait dénoncé le laxisme des magistrats, notamment ceux du Nord, face au problème de la drogue. Selon le ministre de l’Intérieur, les petites affaires de drogue, (au-dessous de quelques grammes), seraient systématiquement classées sans suite. Eric de Montgolfier répond au ministre que les magistrats du Nord, eux, ne classent pas sans suite les affaires de terrorisme. Il fait référence à deux présumés « terroristes » iraniens, expulsés récemment par la France vers l’Iran. Ces deux iraniens étaient réclamés par la Suisse qui les accusait de l’assassinat d’un opposant iranien réfugié sur le sol helvétique.

C.H. est tout excité par le « culot » de ce procureur, qu’il connaît d’ailleurs relativement bien. Depuis plusieurs mois, C.H. suit de très près l’affaire OM-Valenciennes. Du coup, il prévient « Paris » pour leur signaler la teneur des propos. Une dépêche AFP « tombe » quelques minutes plus tard. La « petite phrase » passe telle quelle au journal de « 13h ». C.H. propose de faire un sujet pour le « 20h » sur les conséquences concrètes qu’entraînerait le point de vue de Pasqua s’il était appliqué. C.H. a même demandé à Eric de Montgolfier son emploi du temps de l’après-midi, pour savoir s’il pouvait faire une ITW. N’importe quel juge, même le plus répressif, sait très bien, que s’il fallait arrêter et poursuivre toutes les personnes en possession de quelques grammes de drogue, la machine judiciaire et carcérale serait totalement bloquée en quelques jours. Mais le rédacteur en chef à Paris, G.Q., ne veut pas d’un sujet plus global sur cette question. La « petite phrase » d’Eric de Montgolfier passe au journal de « 20h » accompagnée de l’attaque de Pasqua et sans développement journalistique.

Dimanche 9 janvier

C.H. et moi-même sommes de permanence, mais il n’y a rien « d’intéressant » dans « l’actualité » de notre secteur.

Lundi 10 janvier

9h – bureau de France 2 à Lille

La journée commence par la lecture des quotidiens régionaux (La Voix du Nord et Nord Eclair), puis par les nationaux (Libération, Le Figaro et Le Parisien). Ce dernier est la référence de nos chefs. En fait la matinée commence plus tôt, dans nos appartements respectifs, par l’écoute quotidienne des radios nationales : Europe 1 pour C.H. et France Inter pour moi-même. En fin de semaine, le documentaliste de France 3 Nord-Pas-de-Calais nous fournit une éphéméride, (destinée normalement à la rédaction de France 3), sur l’actualité de la semaine à venir. Nous nous en servons rarement car nous la trouvons trop institutionnelle et trop régionale.

Ce lundi s’annonce calme : rien dans l’actualité, comme nous disons. Je propose à C.H. de préparer un sujet sur le mobilisation des « laïques » dans le Nord pour la manifestation prévue dimanche prochain à Paris. J’ai lu la veille dans VDN que cette mobilisation s’annonçait importante. Le documentaliste de France 3 me fournit les coordonnées des différents représentants du camp laïque de la région : syndicats des professeurs, associations de parents d’élèves, partis politiques, comités d’action laïque, etc.

Après quelques coups de téléphone (SNES, fédération des amicales laïques de Roubaix, mairie de Villeneuve d’Ascq), j’apprends effectivement que la mobilisation s’annonce forte. Je cherche à trouver aussi des lieux où je puisse faire encore de l’image pour illustrer cette mobilisation : fabrication de banderoles, distribution de tracts. Nous ne « calons » toutefois aucun reportage avant l’accord de Paris. Nous évoquons même la possibilité de monter dimanche à Paris avec un train de manifestants.

16h – bureau de France 2 à Lille

C.H. me dit qu’il faut se tenir prêt pour partir à Valenciennes. En effet, le bureau de l’Assemblée Nationale doit décider de la suite à donner à la requête adressée par Eric de Montgolfier. Cette requête demande, dans le cadre de l’affaire OM-Valenciennes, la possibilité pour le juge d’instruction, Bernard Beffy, d’élargir son champ de peines contre Bernard Tapie. Le président de l’Olympique de Marseille ne peut pas, en tant que député, être sous contrôle judiciaire ou incarcéré. Contrairement à tous les inculpés de l’affaire qui sont sous contrôle judiciaire, il peut être mis en examen, mais c’est tout.

En novembre 1993, Eric de Montgolfier a fait cette demande auprès du Garde des Sceaux. La levée de l’immunité parlementaire a été rejetée fin décembre par Pierre Méhaignerie, sous prétexte que le moment était mal choisi. Il restait comme possibilité à Eric de Montgolfier de s’adresser directement au bureau de l’Assemblée Nationale. Cette demande est accompagnée d’une menace : si elle est rejetée, le procureur se donne la possibilité de réclamer son dessaisissement de cette affaire, faute de pouvoir traiter Bernard Tapie comme un citoyen ordinaire.

C.H. est tout excité par « l’enjeu » de la décision. C.H. suit cette affaire depuis le mois de juin 1993. C’est SON affaire, elle lui tient à cœur. Il a même écourté ses vacances d’été. Il développe une énergie énorme pour dénoncer « les magouilles » de Tapie. Depuis l’affaire, il est en contact rapproché avec le juge d’instruction Bernard Beffy, le tutoyant même. C.H. a décidé d’écrire un livre sur cette affaire avec une consœur de France 3 Nord-Pas-de-Calais avec qui il suit l’affaire de très près. « Paris » est bien sûr au courant de ce nouvel épisode de l’affaire, mais n’a pas l’air d’attacher autant d’importance à cet « événement ».

18h30

C.H. est au téléphone avec E.C., notre chef, quand tombe la nouvelle. Le bureau de l’Assemblée vient de rejeter la demande d’Eric de Montgolfier. C.H. téléphone aussitôt au procureur de Valenciennes pour l’informer. Il lui demande une interview. De Montgolfier refuse et réserve sa réponse sur la suite à donner à cette affaire. Il fait état des possibilités offertes à l’instruction après le rejet de la demande.

C.H. téléphone à E.C. pour lui annoncer le refus du procureur d’être interviewé, refus qui n’embête pas particulièrement « Paris ». Le rédacteur en chef du journal du « 20h », D.H., n’avait pas prévu de passer un sujet et comptait annoncer cette information « en brève plateau ». Cette nouvelle met C.H. dans tous ses états et il le dit à E.C. Il pense que la décision est importante. Pour lui, il est nécessaire de faire un édito sur ce qu’induit une telle décision. E.C. lui rétorque que D.H. a déjà fait son choix et qu’il sera difficile de le faire changer d’avis. Elle lui passe le journaliste responsable de la rubrique justice, E.W

C.H. lui énonce les différentes suites possibles de l’instruction. Il conclut que cette décision implique que Bernard Tapie ne peut pas être traité pour l’instant comme un citoyen ordinaire. E.W finit par convaincre D.H. Il fait un « édito plateau » au journal de « 20h ». Il reprend les termes de C.H., qu’il citera du reste. Il ne reprend pas par contre la dernière remarque de C.H. concernant le traitement de faveur du député Bernard Tapie.

Pendant ce temps, C.H. essaie de joindre Bernard Beffy pour lui proposer une interview le lendemain. C.H. me fait remarquer, avec une certaine jubilation, que cela serait la première foisque le juge accepterait de parler sur cette affaire. Il finit par l’avoir chez lui dans la soirée. Bernard Beffy refuse la proposition.

N.B. : La recherche de lieux filmables pour évoquer la mobilisation du camp laïque pour la grande manif parisienne du samedi 15 janvier, est caractéristique des lourdeurs de la télévision en matière d’information. Un support image est nécessaire pour faire un sujet. Dans ce cas précis, un journaliste radio peut très bien faire un « sonore » sur cette mobilisation, sans pour autant être dans un lieu où elle se matérialise. Un journaliste de presse écrite peut très bien se faire raconter cette mobilisation au téléphone, puis la décrire dans son papier. Par contre, imaginez le reportage télé parlant de la mobilisation des laïques sur des images de salles désertes, de bureaux vides. Le problème est que « faire de l’image » devient de plus en plus la seule logique. Et que cette priorité tend à l’emporter sur le but même du reportage qui est de donner une information, et pas uniquement celle que fournit l’image.

Mardi 11 janvier

Je suis de repos. C.H. et mon remplaçant partent vers 10h au tribunal de Valenciennes pour faire un sujet sur la comparution d’un ancien dirigeant de l’Olympique de Marseille, J-J. Bernès, dans le cadre de l’affaire OM-VA. Sur l’autoroute, ils croisent un important accident de voitures dû au brouillard. C.H. téléphone aussitôt à France 3 Nord-Pas-de-Calais pour les informer et aussi à notre chef à Paris. Celui-ci dit de continuer sur Valenciennes. Il récupérera les images de France 3.

C.H. fait la réaction de l’avocat de Tapie à propos de la décision, la veille, de l’Assemblée Nationale. Le sujet sera diffusé au « 13h ».

« Paris » récupérera les images de l’accident filmé par France 3. En effet, une « belle histoire » aura lieu sur cette autoroute. Une mère de famille accouchera de son quatrième enfant au milieu des voitures accidentées. Comme une ambulance et un médecin se trouvait dans l’embouteillage, tout finira bien pour la maman et son petit bébé. La belle histoire passera bien sûr au « 13h » et au « 20h ». Cette information sera reprise durant toute la journée et le lendemain par une grande partie des médias régionaux et nationaux (journaux, radios et télés).

Après être revenu sur Lille pour monter et diffuser le sujet, l’équipe de France 2 filmera l’après-midi la venue de Bernès au tribunal. Un sujet sera envoyé pour le « 20h ». Il sera « trappé » et diffusé au « 23h ».

Mercredi 12 janvier

9h – bureau de France 2 à Lille

C.H. m’annonce que « Paris » nous a demandé de faire un sujet sur la mobilisation dans le Nord pour la manifestation de l’école laïque. Le reportage est prévu pour le journal de 20h de samedi soir. Il a été question un moment de monter à Paris dimanche matin, avec des manifestants. Mais le reportage a été confié à une autre équipe.

Nous téléphonons à différentes structures (comité départemental d’action laïque, SNES, FEN, mairies de « gauche ») pour faire le point sur la mobilisation, mais aussi pour voir ce qu’il est possible encore de filmer. Nous recherchons un endroit où des gens fabriquent encore des affiches ou des banderoles, un lieu où des militants distribuent des tracts, un local où des personnes se réunissent. La plupart de nos demandes obtiennent des réponses négatives. Nous sommes à quatre jours de la manif et tous les préparatifs sont quasiment bouclés. Nous commençons à être un peu inquiets, faute d’avoir trouvé une « accroche visuelle » au reportage. En fin de matinée, nous n’avons encore rien de précis. Un responsable de la FEN du Nord a pris nos coordonnées pour voir ce qu’il peut faire pour nous.

15h – bureau de France 2 à Lille

Le responsable de la FEN nous téléphone dans l’après-midi, pour nous dire qu’il a appris qu’une dernière réunion de préparation aura lieu jeudi soir, à 19h, à la mairie de Loos, une banlieue populaire de Lille. C.H. charge ce responsable de lui trouver des personnages représentatifs de la mobilisation. La réunion servirait de base d’accroche au reportage. Cela permettrait de repérer deux ou trois personnages qui iraient manifester à Paris.

C.H. est ennuyé car il est question qu’Eric de Montgolfier passe au journal de 20h de jeudi soir. En effet, si le procureur du tribunal de Valenciennes décide de déssaisir le juge Beffy, (avec son accord), du dossier « OM-VA », il en donnerait la primeur à France 2. C.H. dit qu’il doit être présent dans les locaux de France 3 Nord/Pas-de-Calais, (il y aurait un direct entre la station régionale et la rédaction nationale de France 2), pour acceuillir Eric de Montgolfier. J’irais donc filmer jeudi soir la réunion avec un preneur de son et sans C.H. Nous ferions ensuite le portrait de nos personnages le lendemain vendredi.

Nous nous rendons compte que nous faisons bien de réaliser le reportage vendredi. En effet, le Conseil Constitutionnel rend son jugement à propos de la nouvelle loi supprimant la loi Falloux au plus tard vendredi midi. Notre reportage ne sera donc pas caduc.

20h – bureau de France 2

Le responsable local de la FEN communique à C.H. les coordonnées d’une directrice d’école primaire de Loos, d’un responsable des parents d’élèves de cette école et de deux figures du camp laïque de cette commune. Il paraît que l’un d’entre eux est un personnage. En appelant la directrice, C.H. apprend que la réunion à lieu en fait vendredi soir. Il « cale » un rendez-vous avec la directrice, vendredi à 14h, à l’école primaire.

Jeudi 13 janvier

9h - bureau de France 2 à Lille

C.H. prend contact avec Eric de Montgolfier pour connaître la décision qu’il a prise à propos de l’affaire OM-VA. Le procureur lui annonce que le juge Beffy conserve l’instruction du dossier et qu’il va mettre Bernard Tapie en examen, sans doute sous contrôle judiciaire. Du coup, il n’y a plus de raison que le procureur de Valenciennes vienne au journal de 20h, d’autant qu’il est dans la « ligne de mire » du Garde des Sceaux. Celui-ci lui a rappelé pour la dernière fois son devoir de réserve.

Par contre, Eric de Montgolfier annonce à C.H. qu’il va ouvrir une procédure sur une histoire de double billeterie, lors d’un concert donné par Johnny Halliday à Valenciennes. Le procureur lui avait déjà parlé de cela quelques semaines auparavant. Le fisc a relevé des irrégularités de billeterie et pour se défendre, l’organisateur du concert a accusé Johnny Halliday de lui avoir demandé 200 000 F de dessous de table. Sous les questions pressantes de C.H., Eric de Montgolfier lui propose de la rappeler dans l’après-midi.

Du coup, C.H. prévient notre chef à Paris, (qui est déjà au courant de l’affaire), que nous fonçons sur Valenciennes. C.H. ne veut pas être « à la ramasse » dans cette histoire. Il veut être le premier à la sortir.

10h45 – tribunal de Valenciennes

Nous allons directement au bureau du procureur. C.H. connaît très bien le tribunal et salue bon nombre de magistrats. Il me le fait remarquer et en éprouve une certaine fierté. Eric de Montgolfier est en train de consulter le dossier avant de prendre une décision. Il est intéressant d’observer le petit jeu qui se met en place entre le procureur et C.H. Le premier diffuse chaque information en se faisant prier, avec des pirouettes de langage, mais finit par lâcher une partie du dossier. Le second questionne, ose un peu plus à chaque fois. Le tout est habillé d’humour, de plaisanteries, de bons mots.

Nous nous apercevons que nous avons été vite en besogne. Il y a beaucoup de soupçons, mais pas beaucoup de preuves à ce stade de l’enquête. La fraude, pour le moment, porte sur une dizaine de billets, même si le fisc pense qu’il y en a d’autres. Du coup, il est beaucoup trop tôt pour sortir l’affaire. Nous quittons donc le procureur. Mais avant de partir du tribunal, C.H. va voir le juge Beffy avec qui il s’entretient un long moment. Pendant ce temps-là, je retourne à la voiture.

16h – bureau de France 2 à Lille

C.H. contacte le parent d’élève dont les coordonnées lui ont été données par le responsable de la FEN. Il accepte d’être dans le reportage et il nous donne rendez-vous le lendemain après-midi à l’école primaire. C.H. prévient le maire socialiste de Loos de notre venue vendredi soir. Le maire lui donne les coordonnées de cette « fameuse figure laïque » de Loos. Il s’agit en fait de l’adjoint à la jeunesse et au sport, Gaston Caby, un ancien instituteur, âgé de 74 ans. C.H. prend rendez-vous avec lui le lendemain matin, vers 10h30, à son domicile.

18h – bureau de France 2

Une dépêche AFP tombe sur la décision deu Conseil Constitutionnel. Plusieurs articles de la nouvelle loi sur le financement de l’école privée sont invalidés.

Vendredi 14 janvier

9h – bureau de France 2 à Lille

Nous avons donné rendez-vous à un preneur de son qui travaille au coup par coup avec nous. Nous partons vers 10h chez Gaston Caby qui nous reçoit très courtoisement. Il a été pendant près de 40 ans instituteur puis directeur de la même école, à Loos. Sa femme a été également institutrice dans cette école spécialisée pour des enfants aaynt de sproblèmes sociaux ou de santé. Gaston Caby est né dans un petit village du Nord. Il est issu d’un milieu modeste. Il a fait partie des FTP pendant la guerre et est le créateur d’une association à caractère laïque, « les deniers de l’école laïque ». Ce n’est pas un « bouffeur de curé », mais quand même un inconditionnel de la laïque.

Nous discutons une petite heure, puis nous tournons une séquence avec lui en train d’écrireà son bureau. Nous allons ensuite avec lui à son ancienne école (aujourd’hui transformée en centre aéré), dans laquelle nous tournons une autre séquence. Puis C.H. fait son interview, pricnipalement axée sur sa propre histoire au sein de l’école laïque et sur ses motivations à al défendre. L’ITW fait environ 12 mn, Gaston Caby faisant des phrases assez longues, ce qui constitue ensuite un problème au montage. C.H. reprend à la fin de l’ITW une ou deux questions pour essayer d’obtenir des réponses un peu plus courtes. Il demande à son interlocuteur de condenser plusieurs réponses en une seule.

De retour dans la voiture, nous nous disons que ce serait un bon client pour un magazine. Pour du news il « s’étale » un peu trop. E.C. nous téléphone pour nous dire que le rédacteur en chef du « 20h », D.H., veut le sujet pour ce soir. C.H. lui réplique qu’il en est hors de question. Il lui dit que la réunion de ce soir à Loos est importante pour l’unité du reportage. Il rappelle que le sujet était prévu pour samedi soir ; E.C. lui répond de le dire lui même à D.H. C.H. lui rétorque que c’est son boulot. Quelques minutes plus tard, elle nous prévient que tout est réglé et que nous pouvons toruner tranquillement.

13h45 – école primaire de Loos

Après avoir mangé à la cantine de France 3, nous partons à l’école primaire de Loos, retrouver la directrice. Celle-ci est en train de faire la classe à des élèves de CE2 et CM1. Elle a 32 ans et enseigne depusi 1985. Je tourne une petite séquence d’elle au milieu de ses élèves, puis nous attendons l’heure de la récréation pour faire son ITW. C.H. a déjà eu l’occasion de s’entretenir avec elle, lors du premier contact téléphonique. L’ITW se fait dans la salle vide et est assez rapide. C.H. l’interroge principalement sur son refus de la réforme de la loi Falloux. Je torune ensuite une petite séquence dans la cour. Une des institutrices refuse d’être filmée, bien qu’elle soit solidaire du mouvement.

Nous attendons ensuite le parent d’élève. Il arrive à 16h. Nous lui posons quelques questions sur le rôle des parents d’élèves dans l’école et sur ses motivations à défendre l’école laïque. Je tourne quelques images de lui à la sortie de l’école, puis C.H. réalise une ITW sur le but de cette manifestation après la quasi-suppression de la loi. Il est 17h et nous prenons congé. Nous nous donnons rendez-vous à la réunion du soir, prévue vers 19h30.

19h30 – Salle municipale de Loos

Une quarantaine de militants laïques se retrouvent pour les derniers préparatifs avant la manif de dimanche. Nous échangeons quelques paroles avant le début de l’assemblée. Quatre autobus partent de Loos pour Paris parmi eux une cinquantaine de volontaires est prévue pour le service d’ordre. Deux ou trois intervenants donnent des conseils sur l’organisation. Des cartes du parcours sont projetées sur un écran. Tout le monde est un peu intimidé par la présence de la télé, et en plus de France 2… Je fais quelques images de la séance et je filme principalement nos trois personnages. Le maire, qui est présent, y va de son petit discours mobilisateur. A la fin de la réunion, nous sommes invités à la mairie pour prendre un pot, mais nous refusons poliment en prétextant du travail. Nous revenons au bureau vers 21h.

N.B : C.H. reprend l’ITW de Gaston Caby pour lui faire synthétiser sa réponse. Quand il souhaite avoir plusieurs informations dans une seule réponse, C.H. refait souvent l’interview, en expliquant à la personne ce qu’elle doit dire. Cela bien entendu sans trahir, selon C.H., l’idée générale de l’ITW. Cette méthode de travail n’est pas propre à C.H. Sans que ce soit systématique, nombre de journalistes télé avec qui j’ai travaillé ont recourts à cette pratique. Elle peut s’expliquer par deux raisons. D’une part, il est difficile de faire des coupes dans une interview télé, car cela se voit. D’autre part, la tendance au sujet de plus en plus court (en moyenne 1 mn 30), a pour conséquence que les sonores doivent être réduits (entre 10s et 15 s). Certains chefs poussent cette logique à la caricature. Lors de cette réunion des correspondants dont j’ai parlé un peu plus haut, D.H., le rédac’ chef du « 13h », alla même jusqu’à dire : « la durée des sonores dans les sujets pose problème. Quand il y a deux phrases dans une interview, la deuxième tue souvent la première. Les sonores doivent être courts, parce qu’ils sont souvent chiants. » Ces propos peuvent paraître caricaturaux. Hélas, beaucoup de chefs adhèrent à cette logique. Il s’ensuit que de plus en plus de citoyens font des formations pour s’y adapter. Ainsi, les hommes politiques, les décideurs de tout poil, bref ceux qui comptent dans une société, vont apprendre, lors de stages, à se comporter devant une caméra et à répondre aux questions des journalistes. Par exemple, une inspectrice de la brigade financière ? Lors d’un reportage sur une saisie importante de faux billets, n’a pas osé répondre aux questions de C.H. parce qu’elle n’avait pas encore fait le stage « vidéo et journalisme » qu’organisait son chef !

Samedi 15 janvier

9h – salle de montage de France 3 Nord/Pas-de-Calais

C.H. a toute la matinée pour monter le sujet. Après un dérushage d’une heure, et après le choix des différents passages des ITW, le montage peut commencer. Le sujet est monté dans l’après-midi et envoyé vers 16h. C.H. est obligé de refaire le mixage après le visionnage du sujet par le rédacteur du « 20h », G.Q. Celui-ci n’est pas d’accord avec une phrase du commentaire qui parle de « reculade gouvernementale ». Le rédac’chef considère que c’est un terme inapproprié et souligne le fait qu’il s ‘agit d’une décision du Conseil Constitutionnel. Il fait remarquer également que le sujet est trop long. Il est vrai qu’il fait 2 mn 05…

[La suite]

 
 

[Gilles Balbastre]