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Dans l'entreprise point de salut
Isabelle Regnier
, Le Monde, Culture, vendredi 10 octobre 2003, p. 32

  

Après avoir consacré plusieurs films aux mécanismes de pouvoir à l'œuvre dans les médias, Pierre Carles s'attaque à la valeur travail avec un film monté (de manière un peu bancale) à partir de sources diverses : une série d'entretiens réalisés par Christophe Coello et Stéphane Goxe, des extraits de films de Pierre Merejkowsky, Alain Rabéchault, Christophe Otzenberger, André Szöts, Bruno Muel, Jocelyne Lemaire-Darnaud (Paroles de Bibs), Kiki Picasso, du groupe Dupain et de ses propres Pizza America, Volem rien foutre al païs et Uppercut.

Pierre Carles met d'abord en évidence les mécanismes de la culture d'entreprise : uniformisation des gestes, du langage, du code vestimentaire chez Domino's Pizza ; exacerbation de la course à la performance dans une société de télémarketing. Il donne ensuite la parole à des individus d'origines très diverses (ancien patron, ex-ouvrière ou ex-standardiste, RMiste de toujours) qui ont choisi de vivre avec un salaire de subsistance, hors de l'entreprise. Heureux de leur sort, ils expliquent leur choix, comme celui de la liberté, du temps contre l'argent.

En opposant tous ces témoignages engagés contre la société de consommation au mutisme d'hommes politiques et de patrons interrogés sur la question du refus du travail, Pierre Carles colore les premiers d'une touche subversive. L'oisiveté apparaît comme un véritable tabou et, dans ce contexte, un long extrait dans lequel Jean-Pierre Raffarin fait l'apologie du travail et de l'entreprenariat résonne comme un rappel à l'ordre mâtiné de panique.

UN CAHIER DE DOLÉANCES. Cohérent jusque-là, le documentaire s'enlise à mesure que le réalisateur convoque des images de plus en plus hétérogènes. On assiste ainsi à l'assaut donné par un collectif de chômeurs à un Centre Leclerc au nom du droit à la consommation pour tous.

Sans distinction, le réalisateur donne la parole à toutes sortes de victimes du marché du travail post-industriel. Cette absence de parti pris réduit largement la portée du film, dont ne subsiste en définitive qu'un cahier de doléances pour chômeurs de longue durée.