CQFD

 

dossier
CQFD, n°3, juillet 2003.

  

RIENFOUTRE.ORG

Ouverture du dossier

Entretien avec Stéphane Goxe

 Olivier Cyran : Appel général à la désertion

 Radiations et contes de fées à l'ANPE de Paris 12

Attention Danger Travail : forcément, ce titre nous plaît. Et le film qui va avec aussi. Réalisé par Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe, ce recueil de témoignages épanouissants – car émanant de chômeurs qui assument sans vergogne et avec jubilation leur affranchissement du salariat – conforte ceux d’entre nous qui, à CQFD et ailleurs, naviguent hors des zones fléchées. Bien que les réalisateurs soient aussi des amis, et malgré nos vif scrupules à les encourager dans un « travail » souvent épuisant (c’est un gros boulot de faire sa critique), nous avons fait le choix de contribuer, à notre échelle, à la diffusion de leur documentaire. C’est pourqui le présent dossier existe aussi sous forme d’un quatre-pages gratuit, qui est distribué lors des projections plus ou moins clandestines que le film connaît en ce moment, en attendant sa sortie en salles, prévue en principe le 24 septembre. Pour verser une pièce au débat. Pour élargir l’espace que n’occupent pas – ou pas encore – les médias voués au culte du turbin. Et pour se régaler du retour d’ascenseur, quand nos trois glandeurs iconoclastes auront multiplié par mille les foules de chômeurs heureux...

C’est marqué en gras sur les paquets de cigarettes : « Fumer tue ». De la même façon, il faudrait graver en lettres énormes au fronton des entreprises, ANPE, agences d’intérim et écoles de commerce : « Travailler tue ». Ceux qui affirment le contraire et s’emploient à vous mettre au turbin – patrons, ministres, médias, belles-mères – devraient être poursuivis pour mise en danger d’autrui.

Le 1er mai 2003, jour de la fête du travail, le contremaître François Fillon déclarait : « Au cœur du débat sur l’avenir des retraites, nous devons donner toute sa place au travail ». Bien vu : deux semaines plus tard, la perspective de bosser plus longtemps jetait deux millions de personnes dans la rue. Ces affranchis en sursis refusaient obstinément de retarder plus encore l’heure si attendue de la quille, quand le repos, enfin, cesse d’être découpé en pauses-pipi. Mais pourquoi patienter quarante longues années ? Faut-il attendre d’avoir le dos tordu et les dents qui tombent pour jouir d’une oisiveté bien méritée ? Pourquoi ne pas anticiper l’échéance et mettre les bouts ici et maintenant ?
C’est peu dire que cette question est rarement posée dans le débat public. Un postulat intangible, imposé par ceux qui profitent du labeur des autres, veut que celui-ci soit une condition essentielle du bonheur, un « élément structurant » dont la privation vous réduirait à l’état de sous-homme frappé d’indignité sociale. Donner « toute sa place au travail », d’accord, mais loin de nous, en l’extirpant à coup de bottes du socle de nos vies. Beaucoup ont déjà déserté un marché du travail implacable autant que nuisible, vivant avec peu de ressources mais sans compter leurs heures, s’épanouissant loin des tableaux d’avancement, des salons de l’automobile et des croisières pour le Péloponèse. Mais ceux-là n’ont pas voix au chapitre. Seul le chômeur vacillant entre honte et accablement trouve grâce aux yeux du médiatique.
« À gauche, le laxisme et l’assistanat. À droite, le mérite et l’effort », glapissait au printemps Patrick Ollier, président UMP de la Commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Manifestement, l’effort rend sourd : ce type semble n’avoir jamais entendu ses voisins socialistes condamner parasites et fainéants. Ne les sait-il pas tout aussi obsédés que lui par la croissance, la productivité, la création d’emplois ? « Nous ne voulons pas une société d'assistance, mais une société fondée sur le travail et l'activité productrice », sermonnait hier Lionel Jospin. Devenu à son tour un « assisté », il peut à présent goûter les joies du temps retrouvé grâce à sa confortable pension de Premier ministre.
Ce que l’on nomme « travail » traverse une crise fonctionnelle et sociale inédite, et cependant tous continuent de l’honorer comme une vache sacrée. Tous veulent nous mettre ou nous remettre au turbin, quand celui-ci quitte ses vieilles bretelles pour réapparaître sous des formes toujours plus dégradées et dégradantes.

« Il faut redonner aux Français le goût du travail »
Jean-Pierre Raffarin

« Il faut redonner aux Français le goût du travail », miaulait au dernier congrès du Medef un Raffarin au rengorgement pétainiste. Le goût du turbin qui use, tue et mutile, qui interdit de réfléchir, qui fabrique à la chaîne hiérarchie, frustrations et laideur. Partis et syndicats, de gauche et d’extrême gauche, demeurent dans leur ensemble accrochés à une logique productiviste rarement remise en cause. Toujours prompts à gratifier le labeur de mille attraits, admettront-ils un jour que le travail, c’est la santé – celle du capital et des rentiers de luxe ?
Seule une critique radicale du travail, du consumérisme et du productivisme peut aujourd’hui offrir de nouvelles alternatives. Attention Danger Travail et, plus tard, Volem rien foutre al païs entendent contribuer à la reformulation de cette critique, contre l’air du temps et les évidences en contreplaqué dont on nous rabat les oreilles dès que sonne le réveil-matin. Parce que de plus en plus de personnes refusent d’occuper « des boulots de merde payés des miettes », parce que les médias ne s’intéressent à la question du travail que pour mieux en célébrer les vertus, parce que la classe politique et patronale sacralise sa valeur morale quand le « saint marché » dévalorise chaque jour un peu plus le temps, le sang et la sueur versés pour d’autres, sans doute convient-il alors, dans un geste de dissidence, de brandir l’avertissement :
ATTENTION DANGER TRAVAIL !