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CQFD, n°3, juillet 2003.
Ouverture du dossier

Entretien avec Stéphane Goxe

 Olivier Cyran : Appel général à la désertion

 Radiations et contes de fées à l'ANPE de Paris 12

 

« Ne plus perdre sa vie à la gagner »

Entretien avec Stéphane Goxe, co-réalisateur de Attention Danger Travail : « On donne la parole à des gens qui préfèrent chômer qu’occuper des emplois de merde payés des miettes ».

 Danger Travail circulait depuis plus d’un an, sous différentes moutures, et maintenant sort Attention Danger Travail... Il y a autant de versions que de projections ?

 Stéphane Goxe : Il s’agit de la même enquête, mais d’une enquête en mouvement qui n’a cessé d’évoluer, d’intégrer de nouveaux éléments, de se pencher sur ses propres effets, de s’enrichir au point d’offrir une multitude de visages et aujourd’hui une version définitive, plus longue d’environ vingt-cinq minutes, avec une réflexion, je crois, plus aboutie. On a notamment ajouté plusieurs séquences tournées au Medef, qui mettent mieux en évidence la mécanique actuelle de glorification du travail. Le culte qui lui est rendu est un des traits majeurs du discours politique ambiant, de droite comme de gauche.

 Quelle était votre intention de départ, en choisissant un tel sujet ?

 Les films que nous faisons relèvent d’une même logique : faire entendre un autre discours que celui véhiculé par les médias dominants. Ici, en l’occurrence, il s’agit de donner la parole à des personnes qui préfèrent être des chômeurs pauvres plutôt que d’occuper les « emplois de merde payés des miettes » qu’on leur propose, dans un climat de dégradation générale des conditions de travail. Le postulat selon lequel les gens qui ont du boulot doivent s’estimer heureux fonctionne-t-il encore ? L’idée du film est aussi partie de là : combattre cette idée, reçue ou non, qui fait du travail l’une des conditions essentielles du bonheur et de la dignité, et de celui qui en est privé un être humilié, socialement mutilé.

 En somme, vous faites l’apologie de la glande...

 Il est certain que beaucoup se porteraient mieux s’ils exerçaient plus souvent le droit à la paresse. Mais ce film ne peut être réduit à une apologie de la fainéantise, pas plus qu’à une entreprise simpliste de diabolisation du travail. Nous ne portons pas un jugement moral : nous donnons la parole à des personnes bien dans leur peau, ni folles furieuses ni irresponsables, qui n’adhèrent pas ou n’adhèrent plus au discours dominant sur le travail. Elles disent ne plus vouloir perdre leur vie à la gagner, et préférer vivre avec peu de moyens, souvent le RMI, mais avec du temps à profusion, du temps libéré pour y mener des activités choisies. Au cours des projections-débat, on assiste parfois à des réactions violentes dénonçant le choix de l’assistanat, le fait de profiter du système pour ne pas travailler. Mais qui sont les vrais profiteurs ? Les Rmistes, qui survivent avec 362 euros par mois, ou ceux qui spéculent en bourse ? Les chômeurs indemnisés, qui très souvent ont longtemps cotisé, ou les Lagardère, les Pinault et leurs profits indécents ?

 Votre film se borne à dresser un constat. N’aurait-il pas fallu l’accompagner de propositions alternatives ?

 C’est vrai, Attention Danger Travail, en tant que premier volet de l’enquête, dresse avant tout un certain nombre de constats. Mais il suggère aussi des pistes, comme la modification radicale de notre rapport à la consommation, la nécessaire redéfinition de nos besoins. L’étape suivante, c’est le film Volem rien foutre al païs, qui devrait sortir le 1er mai 2004, et dans lequel nous explorerons les pratiques et réflexions visant à rompre avec la logique productiviste et les rapports marchands. La question des alternatives collectives sera bien sûr un axe central de ce prochain film. Ceci dit, il ne nous appartient pas, en tant que réalisateurs, de livrer des formules clé en main, que de toute façon nous ne possédons pas. Ces films ne sont ni démonstratifs, ni programmatiques, ce qui peut frustrer certains spectateurs. Il s’agit avant tout pour nous de questionner des réalités et les discours qui les nourrissent. La perspective critique est clairement assumée, et c’est notre manière d’inciter et de contribuer au débat.

 Avec aussi une bonne dose de déconnade...

 Oui, comme dans d’autres films précédents. L’humour n’interdit pas la rigueur, et permet sans doute d’atteindre à la subversion là où un sérieux de circonstance aurait pu accoucher d’un réquisitoire fastidieux. Ça nous semblait d’autant plus nécessaire que le chômage est toujours évoqué avec des accents dramatiques, misérabilistes. Et on rejoint là un des autres enjeux de ce film : est-il possible d’aborder le thème du chômage sans le présenter sous le signe exclusif de la tragédie, mais en y décelant au contraire un des moyens d’échapper aux griffes de l’exploitation et de reconquérir son temps de vie ?

Propos recueillis en juillet 2003 par CQFD