Financiers...

  

Financiers, philanthropes.
Vocations éthiques et reproduction du capital à Wall Street depuis 1970
Nicolas Guilhot

Wall Street est le symbole même de la finance des années 1980, du capitalisme triomphant, des empires bâtis sur des opérations de bourse de grande ampleur, par des personnages à la réputation sulfureuse (George Soros, Ted Turner, Michael Milken) qui, après avoir fait tomber des entreprises multinationales et leurs managers, se sont assurés en un temps record des fortunes personnelles immenses. Vingt ans plus tard, les mêmes se lancent, avec l'ardeur du converti, dans de grands projets de fondations privées qui auraient pour seul objet de faire le bonheur de l'humanité. Ces financiers devenus philanthropes ne sont pas sans rappeler les « barons voleurs », les Carnegie et les Rockefeller qui, partis de peu, avaient fondé les plus grandes entreprises du capitalisme du début de XXe siècle aux États-Unis, en recourant eux aussi aux marchés financiers. Et, sur le tard, ils avaient également cru bon de léguer à la postérité de grandes fondations, des universités ou des hôpitaux, aujourd'hui parmi les plus prestigieux.
À partir de cette analogie historique, l'ouvrage de Nicolas Guilhot montre que ce mouvement du capitalisme vers la bienfaisance universelle ne traduit pas du tout le revirement d'individus saisis par le remords et le sentiment du devoir moral, mais exprime bien au contraire une dimension essentielle de la reproduction du capital qui, pour se perpétuer, doit trouver les formes de sa propre légitimation. Dès lors, on a toutes les raisons d'observer avec circonspection ces tentatives de se substituer de manière autoproclamée à la puissance publique, en se plaçant hors de tout contrôle démocratique, dans la production des services et des institutions collectives qui touchent à la santé, la sécurité, l'éducation et la culture.

 

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