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Document :
Glapissements sécuritaires sur France culture

Chaque dimanche, juste après la retransmission de la messe, un club de gloseurs se réunit pour faire des phrases que France Culture inflige à ses rares auditeurs. Cela s’appelle « L’Esprit public ». L’émission est perpétrée par Philippe Meyer, dont l’une des distractions favorites consiste à insulter les enseignants : « Je tiens Finkielkraut pour une espèce d’instituteur de la nation. » (06.05.00 1) Le 4 février 2001, L’Esprit public remplissait sa mission culturelle en évoquant un sujet tragiquement ignoré de l’ensemble de la presse comme du personnel politique : l’insécurité. Pour ne pas encombrer les ondes d’inutiles précisions, Meyer s’était employé à ce qu’aucun des invités ne connaisse le sujet, si ce n’est par la rumeur de quelque rapine colportée par son coiffeur.

Sur le plateau, Éric Dupin, journaliste à Libération et cyber-donneur de leçons. Ancien militant du parti socialiste, il interprète le point de vue « de gauche ». Non sans honte. Il s’excuse lorsqu’il conseille la lecture d’une « revue qui, pour être marquée très à gauche, n’en est pas moins sérieuse ». (11.02.01) Le sérieux, c’est le Medef ! Même chose dans le cas de l’insécurité. Pour rassurer les auditeurs proches de Pasqua, Dupin glapit : « Souvent, il y a un contresens qui est fait avec de bons sentiments, qui est de croire que cette violence, cette délinquance juvénile, est le fruit direct de la pauvreté, de la misère, du chômage. »

John Vinocur : « Cessons le débat parce que le débat est ailleurs : ce qu’on ne dit pas en France, c’est que cette question de sécurité est intimement liée aux questions d’immigration et de race. »

À ses côtés, Meyer a fait asseoir John Vinocur, journaliste à l’International Herald Tribune. Vinocur a deux passions : dénoncer les « archaïsmes économiques français » et faire reluire les mocassins d’Alain Duhamel – « l’un des commentateurs politiques les plus informés de France, qui cumule l’audace et la clarté ». (IHT, 20.01.99) Indisposé ce matin-là par un homard mal avalé la veille, John Vinocur éructe : « Cessons le débat parce que le débat est ailleurs : ce qu’on ne dit pas en France, c’est que cette question de sécurité est intimement liée aux questions d’immigration et de RACE [il hurle]. Le débat est là. […] Parce que le sous-entendu jamais dit à haute voix dans tout ceci, ce sont ces questions-là. »

C’est alors qu’intervient Max Gallo. Admirateur de Napoléon et de Philippe de Villiers, figurant apprécié de l’émission animée par Edwy Plenel, Roi du téléachat (RTA) sur LCI (Le Monde des idées, 02.09.00), Gallo échange volontiers des calembredaines sur la République et l’Europe avec Raminagrobis dans Le Point (10.11.00) ou avec Alain Duhamel dans le Figaro Magazine (09.01.99). Mais les vociférations congestives de Vinocur lui coupent l’herbe sous le pied. Elles vont bien au-delà d’un texte, signé par Gallo – ancien vice-président du Mouvement des citoyens – et par une escouade de lépidoptères chevènementistes, qui appelait à la répression de tout mineur utilisateur d’un baladeur (« Républicains n’ayons plus peur », Le Monde, 04.09.98). Gallo réagit donc vivement devant la tentative de débordement américaine : « Je regrette que John Vinocur ait dit cela pour une simple raison : c’est parce que souhaitais le dire. Je suis tout à fait d’accord avec lui car je suis scandalisé par le tabou qui recouvre l’expression “jeune de banlieue”. Moi je voudrais savoir, savoir sociologiquement, pour comprendre un phénomène, qui sont les “jeunes de banlieue”. Qui sont-ils par rapport à leurs antécédences d’origine géographique ? Est-ce qu’il s’agit de Maghrébins ? Est-ce qu’il s’agit d’Africains ? Est-ce qu’il s’agit d’Asiatiques ? […] Comme par rapport à l’économie de marché ou au rôle de l’État, et par rapport à la diversité d’origine géographique et ethnique, nous sommes aussi en retard, nous ne regardons pas en face. Merci, John Vinocur, de nous le rappeler. »

Un « débat d’idées » digne de France Culture aurait manqué de « complexité » sans la présence d’un directeur de revue barriste. Sortant de sa léthargie comme un limaçon abandonnant une sphaigne, Jean-Claude Casanova va prendre de l’altitude : « Nous avons depuis trente ou quarante ans une tradition judiciaire et législative de socialisation, d’indulgence, d’explication, de sociologisme, etc., qui conduit à la mansuétude plus qu’à la sévérité. […] Aux États-Unis, on a des statistiques de criminalité par origine ethnique des délinquants, et ça crée l’inverse du racisme [sic]. Bien évidemment, quand on voit qu’il y a une forte proportion de Noirs en prison, on cherche une politique pour améliorer la situation des Noirs. Et on cherche à avoir la plus efficace possible. »

« La plus efficace possible » ? En prononçant ces mots, Casanova pense-t-il à l’interdiction de voter signifiée à un tiers des hommes noirs d’Alabama, du Texas ou de Floride ? Pense-t-il plutôt à la suppression de l’aide fédérale aux pauvres, souvent noirs ou hispaniques, décidée par Clinton ? Pense-t-il enfin à la généralisation de la peine de mort qui, grâce à une décharge électrique ou du poison dans les veines, résorbe un peu la forte proportion de Noirs en prison ? L’auditeur de France Culture ne le saura pas et peu importe à Casanova. Il psalmodie déjà la formule magique qui couvre les bouffons du masque des savants : « Ce qu’il faut aujourd’hui, si vous voulez, c’est accepter la complexité de la situation et accepter la complexité des politiques nécessaires et cesser tous les tabous, tous les discours idéologiques qui font perdre un temps considérable et ne servent à rien. »

Gallo reste bouche bée, et Vinocur muet. Timidement, Meyer tente alors une percée : « Est-ce que la multiplication des policiers, est-ce que le fait qu’il y ait bientôt autant de policiers que de fonctionnaires de l’Éducation nationale est une solution ? » Pauvre Philippe ! Il ne peut s’empêcher de souiller ses rares incises progressistes d’erreurs astronomiques. Car, à moins que sa comparaison entre Finkielkraut et les enseignants n’ait pour objet de pousser ces derniers au suicide, il n’y aura pas « bientôt autant de policiers que de fonctionnaires de l’Éducation nationale » : la France compte 130 000 policiers et adjoints de sécurité contre près de 1 314 000 fonctionnaires de l’Éducation nationale. France Culture, la radio qui cultive…

La bévue, agrémentée d’un facteur 10, est d’autant plus pitoyable que Meyer, faux dissident fieffé et enseignant à Sciences Po, avait récemment raillé le « ridicule si souvent péremptoire » des journalistes et la « paresse des rédacteurs en chef » coupables de faire un « usage fautif et insensé » des chiffres 2. Son impair eut néanmoins le mérite de galvaniser Max Gallo, qui clôtura ce « débat » par un rapprochement vraisemblablement destiné à gagner la reconnaissance des auditeurs que la messe avait plongés dans la torpeur : « On estime qu’il n’y aura que mille Pacs par an. Je signale qu’il y a dix mille délits par mois ».

   

1. Sauf mention contraire, les dates indiquées sont celles de l’émission « L’Esprit public ».
2. Préface au livre de l’association Pénombre, Chiffres en folie, La Découverte, 1999, p. 6. La contribution prétentieuse de Meyer ne doit pas dissuader les lecteurs de PLPL d’acheter cet utile décryptage de la manipulation par les chiffres : les deux pages incriminées peuvent être arrachées et renvoyées à l’éditeur dans une enveloppe non timbrée.

     

 
   
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