LES TIGRES DE PAPIER

Le 29 mai, un avion transportant 15 449 508 ex-otages atterrissait à Villacoublay. Depuis des années, les passagers avaient été atrocement torturés à coups de chroniques de Bernard Guetta et de mensonges du Monde. Mais ils avaient tenu bon — et dit non au projet de Constitution. Un commando de PLPL les a libérés. Les historiens appelleront-ils notre époque « le printemps sardon » ? Jamais en tout cas la prise en compte par des militants politiques et associatifs du rôle criminel des scribouilleurs et des jacassins du Parti de la presse et de l’argent (PPA) n’a été aussi offensive. Au point que les Sardons déchaînés mordront dorénavant les fesses de quiconque, oublieux des leçons du référendum, recommencerait à exhiber son nombril dans les médias. La tyrannie « à la roumaine » de journalistes nuls au service d’industriels rapaces continue de s’appuyer sur la complicité du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Trouvant insuffisant le travail d’endoctrinement accompli par Bolloré, Bouygues, Lagardère et Vivendi, le CSA vient de leur concéder le contrôle d’une dizaine de chaînes de télévision supplémentaires (réseau TNT). Peu après la libération des millions de Français persécutés par le PPA (et par Libération), Florence Aubenas recouvrait le droit d’écrire dans le quotidien de Serge July et d’Édouard de Rothschild. Embarrassé par la claque référendaire, ce qui reste de ce pauvre Philippe Val pria pour que la béatification de sainte Florence permette de « resserrer les liens entre les citoyens et ceux qui les informent ». Le mondain Franz-Olivier Giesbert s’empressa de roucouler à l’unisson de son ami Philippe : « On était fier, au Point, d’exercer le même métier qu’elle. Merci, Florence. » Oui, merci, Florence, d’avoir rendu Giesbert, Imbert, BHL, Duhamel (tous du Point) si fiers de faire ce qu’ils font depuis presque un demi siècle. Mais 15 449 508 d’ex-otages ont d’autres projets que de renouer avec leur ancienne servitude.
(Lire notre dossier dans le journal papier)
   

 


La lutte est acharnée mais
PLPL ne décerne la laisse d’or
qu’au plus servile.

 

T ous ceux qui n’avaient rien compris au galimatias de Toni Negri savent dorénavant que la « multitude » qui va combattre « l’Empire » aura pour généraux Jacques Barrot, Raymond Barre et José Manuel Barroso. Stratèges des nouvelles Brigades rouges, ils ont dit oui, comme Toni, quand leur nouveau compagnon, postillonnait leur feuille de route commune sur le visage épanoui d’un journaliste de Libération : « La Constitution [Giscard] est un moyen de combattre l’Empire, cette nouvelle société capitaliste mondialisée. […] Les États-Unis l’ont bien compris qui, depuis les années cinquante, luttent comme des fous contre la construction européenne » (29.5.05). C’est en effet parce que le traité constitutionnel lui rappelait les harangues de Spartacus que Silvio Berlusconi s’y est rallié sans hésiter — lui qui hait les États-Unis… Si Toni s’est fait de nouveaux amis, il en a retrouvé d’anciens, décatis : Glucksmann qui vocifère contre l’Empire dans le Wall Street Journal, Field qui milite contre l’Empire avec Nicolas Sarkozy, Val et son pote BHL, « Dany » qui braille plus fort que Toni. « Tous ensemble » déterminés à « bâtir des alternatives globales pour les multitudes ». Quand il ânonne « il faut être pragmatique », Negri croit utile de préciser : « Je ne suis pas soudainement devenu un vieux con libéral. » À l’occasion d’un meeting avec Julien Dray, qui rêve depuis des années de devenir ministre de la Police, Toni a détaillé devant une salle assoupie son utopie à lui : un marché « libre et non faussé » offrira l’« occasion machiavélienne de construire quelque chose qui soit une base de démocratie, une base de rupture de l’ordre impérial » (AFP, 14.5.05). Après le 29 mai, dans un ultime effort de gencives, Negri a gratifié les « multitudes » indociles d’une petite fureur de pédagogue : « Ce vote français est un désastre […]. C’est impressionnant, ce point de vue réactionnaire, archaïque ! » (Télérama, 8.6.05). Soyons gentils avec Negri : une caresse, un sucre. Et une laisse pour lui faire plaisir, car il n’a plus ni dents ni griffes.