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Le journal qui mord et fuit...  

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Liberté [des patrons] de la presse

Le droit divin du propriétaire

En 1998, Bernard Arnault, patron de LVMH, s’était plaint du traitement de l’information concernant LVMH dans La Tribune, propriété de LVMH. Le rédacteur en chef de ce quotidien avait alors morigéné ses journalistes et s’était réservé « le droit d’intervenir sur le traitement de l’information concernant LVMH, même au détriment du lecteur ». Estimant qu’Arnault « est ici chez lui », il avait expliqué que, « nulle part, les relations avec l’actionnaire ne sont normales » et que « l’intérêt de l’actionnaire ne doit pas être remis en cause par un journal qu’il contrôle. » La censure avait été relatée par Libération (06.05.1998), dont Laurent Mouchard-Joffrin dirigeait alors la rédaction. Mais apparemment, Mouchard ne lit pas les journaux. Dans l’émission « Nulle part ailleurs » du 11 juin 1999 sur Canal+, Joffrin prétendait en effet que le propriétaire d’un journal ne pouvait influer sur son contenu : « Cette thèse selon laquelle dès lors qu’on est possédé par des intérêts économiques on est pas libre, ça ne tient pas debout. » Or, comme PLPL l’a démontré à plusieurs reprises, Mouchard ment (ou « MM », comme disent plusieurs journalistes du Nouvel Observateur). Chacun sait que Dassault a voulu s’acheter L’Express pour « exprimer son opinion » (LCI, 21.10.1997) ; qu’il s’est finalement offert Valeurs actuelles dont il a confié la rédaction à son fils ; que L’Express, propriété de Vivendi, a communiqué, avant sa publication, le contenu d’un dossier sur la distribution d’eau à Vivendi-environnement (Stratégies, 01.12.2000) ; que le patron de presse australo-américain Ruppert Murdoch trie idéologiquement les journalistes de son groupe et écrit certains éditoriaux.

L’idée que les patrons n’ont pour souci que de faire fleurir la liberté de la presse est néanmoins psalmodiée en permanence par une coterie de simples d’esprit invoquant la « complexité du réel ». Exemple, Cyril Lemieux, un sociologue rampant qui enseigne son art aux larves de « science-po » quand il ne postillonne pas dans une émission de télé-achat (LCI, 05.08.2000) ou sur les guêtres des journalistes de France Culture (12.04.2000). Pour Lemieux, il faudrait « prendre au sérieux finalement le sens de la justice ou le sens de la morale professionnelle qui habite les journalistes ». Lemieux, qui fonde ses « analyses » sur les propos de sa « cousine Marie-Sophie » et de « Michel, [son] voisin de palier » 1, prétend que la pression des actionnaires ou des propriétaires sur la rédaction est « rarement brutale » (Stratégies, 01.12.2000). Si Lemieux cessait d’espionner son voisin Michel, il aurait davantage de temps pour comprendre le fonctionnement dans la presse du totalitarisme de l’argent.

Dernier exemple en date, Le Nouvel Économiste. Ce bimensuel très comme il faut a été racheté en 1998 par Paul Dubrule, un sénateur apparenté RPR. Satisfait, Dubrule occupait son inexistence à somnoler au Sénat ou à barboter dans un jacuzzi. Jusqu’au jour où il découvrit que ses employés journalistes avaient eu l’outrecuidance de faire leur métier. Dubrule en suffoqua de rage : « J’ai pu lire des articles d’une médiocrité affligeante. […] La ligne directrice manque d’énergie et de dynamisme » (Le Figaro, 24.11.2000). Elle manquait surtout de cirage : « À propos d’un reportage sur les exclus de la croissance américaine, le sexagénaire a regretté que ne soit pas davantage vanté le dynamisme des États-Unis. Il s’est surtout dit ulcéré par un article dénonçant les conditions de travail très dures des personnels des call-centers. […] Un business dans lequel son amie Sophie de Menthon, une proche d’Alain Madelin, exerce ses talents. Enfin, le maire de Fontainebleau n’a pas supporté qu’un dossier sur les grandes écoles oublie de mentionner l’INSAED, située sur sa commune » (Marianne, 04.12.2000). Dubrule ne s’était pas offert Le Nouvel Économiste pour qu’y soient évoqués les méfaits du capitalisme mais pour épancher ses emportements sensuels : « Nous souhaitions qu’il nous apporte un certain plaisir », expliquait-il au Figaro. Dubrule a des plaisirs simples : exprimer son opinion dans le journal dont il est propriétaire. « Je m’apprête à publier un article dénonçant la décision du ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, d’embaucher à tour de bras. Là n’est en effet pas la solution à tous les problèmes. Il est hors de question d’embaucher au Nouvel Économiste » (Le Figaro, 24.01.2001). La rédactrice en chef, Valérie Lecasble, a osé répliquer qu’un « journal ne peut avoir comme objectif d’offrir du “plaisir” à l’un de ses actionnaires ou à tel ou tel de ses amis » (Le Nouvel Économiste, 08.12.2000). Deux semaines plus tard, elle était remerciée.

1. Cyril Lemieux, Mauvaise Presse, Métailié, 2000 (p. 10, 11, 12, 13, etc., pour Marie-Sophie ; p. 15, 16, etc. pour Michel.