LES CAROTTES SONT CUITES

 

Il tangue et finira par couler. Le parti de la presse et de l’argent (PPA), celui de Dassault, du Monde, de Lagardère et de Bouygues, se raccroche à la guerre pour maintenir à flot son épave. Frénétiquement, les petits soldats du journalisme colmatent les voies d’eau ouvertes par les torpilles sardones. Le groupe Le Monde, criblé de dettes, rongé par la dépression du marché publicitaire, recourt aux expédients les plus vils pour dissimuler l’affaissement de sa diffusion : ce quotidien vespéral des marchés est désormais distribué gratuitement dans les parkings de luxe du groupe Vinci. Pour la première fois depuis vingt ans, Alain Duhamel n’a pas publié son livre en janvier des années impaires. Libération, en perdition, prépare pour le printemps une nouvel formule « moins engagée » (sic) qui l’enverra sans délai rejoindre le Prestige dans les profondeurs abyssales de la médiocrité. D’autres mendient les faveurs du pouvoir et les décorations : le PDG de TF1 vient d’être nommé officier de la Légion d’honneur par Jean-Pierre Raffarin. Tous continuent de remplir les poubelles de la pensée en feignant d’accomplir un devoir démocratique et moral. Les carottes sont cuites.

Commentant fin janvier des mauvais sondages d’audience de France Inter, le hanneton Cavada, porte-coton de Chirac et patron de Radio France, a imputé ces résultats à l’« attitude criminelle de quelques personnes qui ont flingué l’antenne. » Traiter les grévistes de « criminels » est pratique courante dans les médias. PLPL consacre son dossier à la désinformation sur le monde du travail. Une enquête minutieuse dans les archives du PPA le confirme : la glissade de Françoise Giroud a fait couler plus d’encre et de salive que les 16 000 salariés morts d’accidents du travail depuis 12 ans. Il est temps de briser les machines à bavarder.

LA GUERRE SOCIALE

Vingt-deux décembre 2002, les carottes sont cuites pour le PPA. Un journaliste de TF1 vient de figer son sourire sous les chenilles d’un char américain. Il réalisait un exercice de téléachat pour l’armée de George W. Bush. Libération a gémi : « Ni son amour de la vie ni sa haute conscience du risque ne pouvaient entraver sa conception du devoir d’informer […] Patrick Bourrat, grand reporter à TF1 est mort dans un geste chevaleresque. » (23.12.02) Laconique, Le Nouvel Observateur a commenté : « Il est mort comme il a vécu. » (26.12.02) Claire Chazal s’est morfondue : « Il est mort en faisant son métier de journaliste de télévision. » Jacques Chirac est « consterné ». L’inhumation du chevalier du téléachat militaire mobilise le Tout-Paris médiatique et la ministre des Armées. Un an auparavant, le décès de deux journalistes français de RFI et de RTL qui avaient confondu l’Afghanistan avec un terrain de trecking déclenchait la même coulée de mélasse compassionnelle : « Ils n’ont ni fusil ni uniforme. Ni même d’autre drapeau, que celui collectif et, rien moins que romantique, de l’information quand, vraiment, il faut aller la chercher, au risque de sa vie, dans la fureur, le désordre et le danger des combats. » (QVM, 12.11.01)

PLPL aussi a beaucoup pleuré. Mais une fois séchées ses larmes, PLPL s’est demandé comment le PPA rendait compte des accidents du travail qui tuent et mutilent non pas les journalistes scintillants, mais les autres salariés 1. Un Sardon muni des outils informatiques les plus sophistiqués a pénétré les archives de la presse qui ment. Il en est ressorti souillé, mais soulagé : tant qu’ils n’ont pas de carte de presse, les travailleurs peuvent périr sans risque d’attirer l’attention malfaisante des médias.

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1 En 2002, on compte en France 35 000 titulaires de la carte de presse sur un total de 26 300 000 salariés.