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Leurs crânes sont des tambours...

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made in CFJ

LES ÉCOLES DU PPA
Le sardon François Rufin a enquêté dans la promotion 2002 de l’école du PPA. Jour après jour, il a noté au mot près les propos des formateurs, des intervenants extérieurs, de la direction de l’établissement, les réactions des étudiants. Il en a tiré un livre, Les Petits Soldats du journalisme, Éd. Les Arènes, février 2003.

 

Dès le début de l’année, le responsable des « première année » du Centre de formation des journalistes a prévenu : « Dans la profession, il y a un certain nombre de journaux ou de journalistes qui ne sont pas dans la ligne, on dira. Mais ici, on va vous demander de suivre la ligne, si on peut dire, de rester dans la norme ». Puis il a hurlé : « Eh bien, oui, oui, il y a un moule CFJ et il faudra bien vous y couler ! » Ce moule, les intervenants du CFJ taillés sur mesure vont lui donner forme : les rédacteurs en chef de Paris-Match, de La Croix, de LCI, de France 2, du Parisien, le président du CSA, l’ex-PDG de Canal+, les patrons de RTL, de Ouest-France, les anciens rédacteurs en chef de Libération, du Figaro, de France-Soir, du Monde, les directeurs du Monde, de Télérama, de L’Express, de TF1, de Courrier international, de l’Equipe.fr. Ces serviteurs du PPA enseigneront à leurs futurs employés l’absence d’esprit critique et l’amour de l’argent. À un élève intrigué par un dossier du Nouvel Observateur presque intégralement consacré à la splendeur des villas marocaines achetées par des millionnaires, Mouchard, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire, répond : « C’est l’une de nos meilleures ventes cette année. Et puis, moi, j’aime bien. C’est drôle, c’est marrant, c’est parisien… Oh, le pauvre immigré, le pauvre chômeur, ça on l’a déjà fait dix fois. […] C’est vrai, on fait une sorte de Gala pour riches… »

Produire vite et mal

À la sortie de l’école, il faut, résume un pédagogue, « que vous sachiez écrire sur n’importe quel sujet, même si vous n’y connaissez rien ». La vertu cardinale consiste à savoir composer sur le champ un potage de mots pour un « papier » 2. « J’allais dire “tant pis si c’est de la merde”, précise le responsable des premières années. C’est peut-être un peu excessif, mais l’idée est là. » Pas encore déniaisées, certaines recrues imaginent que le journalisme consiste à informer. Mal leur en prend. Benoît chroniquait un ouvrage sur la guerre d’Algérie. Une intervenante : « Poursuis ton papier sur le livre de Jacques Duquesne. » L’élève : « Mais je ne l’ai pas ouvert. » L’intervenante : « Non, pas la peine, faut faire vite. Lis juste une critique du Monde» Notre enquêteur avait eu l’outrecuidance de rédiger un article sur les travailleurs pauvres. Pressé, il compulse sa seule source, un article du Parisien. Une enseignante interrompt sa lecture : « Survole, survole, on n’a pas le temps. » L’exigence de la vitesse prend parfois des allures de gag : « Ton interview plateau, il faut trois questions trois réponses. Tac tac tac. En trois minutes maxi, on doit tout savoir sur la mort » (responsable télé). Encouragés par l’encadrement, les élèves apprennent à ne plus se soucier de ce qu’ils écrivent : « Votre reportage était très bien. On n’apprend rien, on aura tout oublié dans dix minutes, mais c’est bon pour Pernaud. On l’achète pour le 13 heures. ».

La faculté d’écrire n’importe quoi ne suffit pas. Il faut savoir flairer les sujets qui aguichent les concurrents. Et pour cela, « suivre l’actualité » comme un chien renifle l’odeur de son maître. « Votre tâche, c’est de reprendre ce qui vous est dicté par l’actualité », explique le responsable des premières années. On se « situe par rapport à elle », tantôt en « avance », tantôt en « retard ». « Le salon du chocolat, on n’y coupera pas. » « Loft-Story, c’est incontournable. » « Mais pourquoi tu t’obsèdes avec les infirmières ? On a fait une brève, c’est bon. Regarde Le Parisien, regarde Libé, y a pas un article dessus. Même pas dans l’Humanité ! » Ce fonctionnement, le directeur du CFJ l’a théorisé dès la rentrée : « Le premier réflexe dans le métier, c’est de regarder ce que font les confrères. » Pour attirer l’attention des journalistes, tout sujet doit être préalablement construit comme une « actualité ». La plupart des associations acceptent ces règles du jeu. Ainsi, une fois par an, ATD-Quart Monde organise la « Journée de la misère ». L’« actu » du jour, c’est les pauvres, et les enseignants du CFJ se muent en dangereux révolutionnaires : « Tu ramènes au moins deux sons, un bénévole ou un responsable. Et tu me trouves un pauvre. » Les 364 autres jours, vive les villas marocaines chères à Mouchard !

Le journalisme ne consiste pas
à mettre en question les idées reçues
mais à les mettre en pratique

Pour traiter les sujets qui font vendre, rien ne vaut les sentiers battus par les « concurrents ». L’identité des pédagogues du Centre prévient toute incartade : un rédacteur en chef de LCI (la chaîne info de Bouygues, qui emploie Edwy Plenel, Roi du téléachat) encadre les semaines de télévision. En radio, tous les formateurs sont des présentateurs de journaux et non pas des reporters de magazines. Ils ne jurent que par les formats courts et « la fraîcheur de l’information » (égale à celle du poisson). « Donc, on ne vous le répétera jamais assez : faites simple. Très simple. Et super court aussi. » Parfois, un étudiant s’interroge : « C’est pas d’actualité, mais ça ne veut pas dire que ça mérite pas d’être traité. » Le chef des secrétaires de rédaction s’étrangle : « Mais tu te rends compte ? Tu racontes n’importe quoi ! C’est chaud, c’est chaud, ou alors ça ne se justifie pas. On se demande ce que tu fais ici, en deuxième année, pour raconter des trucs comme ça ! » Ainsi malaxée, la jeune garde du PPA apprend que le journalisme ne consiste pas à mettre en question les idées reçues mais à les mettre en pratique. Comme le résume le responsable pédagogique du CFJ, « l’actualité, c’est l’actualité. Un événement, c’est un événement. Le journalisme, c’est le journalisme. Voilà pour la théorie. Maintenant, on passe à l’action. »

Si l’école du PPA vrille la médiocrité (et le téléachat) dans les crânes, c’est parce qu’« on s’intéresse d’abord aux lecteurs, de quoi veulent-ils qu’on parle ? de quoi parlent-ils avec leurs amis ? C’est ça qui doit faire la “une” du lendemain ». Jean-Marc Lech, patron de l’institut de sondage IPSOS, décrira le plus « scientifiquement » l’univers des médias : « On explique les désirs des lecteurs comme à la direction d’Évian et de Danone les désirs des consommateurs. » Tout l’enseignement du CFJ se fonde sur une logique d’audimat. « Les logements des immigrés, tu vois, c’est un peu éloigné des préoccupations des lecteurs. » ; « Ton papier sur les centres d’appels, je ne crois pas que ça passionnerait les lecteurs. » ; « Les taudis du XXe, c’est intéressant, je ne dis pas. Pour autant, est-ce que ça plaira aux lecteurs ? » Au terme de deux ans d’internement, l’étudiant du CFJ pourra satisfaire Robert Namias, directeur de l’information sur TF1, qui lui a enseigné que « la première qualité de ce métier, c’est de réfléchir à ce qui sera le sujet de conversation à table ».

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2. Dans le jargon journalistique, un « papier » désigne un article.