dossier le monde

... RÉEL

    

Chaque mardi, une partie du Monde est signée Vivendi

Avec Vivendi, l’histoire a commencé de la même manière.

  Acte 1
  Le Monde et Vivendi sont fachés

En octobre 1997, L’Express est en vente et Raminagrobis a faim. Il veut gober l’hebdomadaire dont la ligne rédactionnelle – chiraco-républicaine plutôt que balladuro-mondialiste – lui déplait, surtout depuis que son amie Christine Ockrent a été évincée l’année précédente (6). Mais Havas (filiale de la Générale des Eaux, devenue Vivendi) refuse l’offre d’achat du Monde, jugée insuffisante. Raminagrobis se déchaîne. Fort des conseils d’Alain Minc, le Nabot malfaisant, de l’appui de Jean-Luc Lagardère et de Dominique Strauss-Kahn (à l’époque ministre des Finances), il repart à l’attaque. Face à lui, une alliance de circonstance regroupe Dassault, Chirac et une majorité des salariés de L’Express épouvantés par « la brutalité de l’approche humaine » de Colombani (communiqué de la Société des journalistes de L’Express, cité par Le Figaro, 30/10/97). L’offre de Dassault, plus importante, l’aurait certainement emporté si DSK n’avait pas sommé le marchand d’avions de guerre de renoncer à son achat, faute de quoi l’État menaçait d’acheter ailleurs tous ses engins de mort. Or, « qui a influencé le ministre de l’économie ? Apparemment, un tandem constitué par Jean-Marie Colombani, directeur du Monde, et Jean-Luc Lagardère » (Le Nouvel Économiste, 30/10/97) La réconciliation de mars 1997 (lire plus haut) avait eu du bon…

En définitive, la Générale des Eaux (devenue Vivendi) renonce à vendre son magazine. Elle renvoie ainsi dos-à-dos Raminagrobis et le vendeur de Mirage. Mais les lecteurs du Quotidien vespéral des marchés ne seront jamais informés des pressions de DSK en faveur du projet Minc-Colombani. Au contraire, ce dernier aura le culot de dénoncer les « concessions aux vieilles habitudes de l’establishment français, où politique et affaires font trop bon ménage » (QVM, 4/10/97). Deux jours plus tard, avec cette habitude attachante qu’a Le Monde de prendre ses interlocuteurs pour des demeurés, Raminagrobis récidive en « expliquant » aux lecteurs de droite du Figaro (6/11/97) : « Pour un pouvoir de gauche, pour ceux qui se sont exprimés au nom de ce pouvoir, l’idée qu’un groupe de presse indépendant naisse et se constitue autour du Monde ne convenait pas. » Le Canard Enchaîné avait été plus précis : « Le retrait précipité de la candidature Dassault, qui sur le papier avait toutes les chances de l’emporter, ne doit rien au hasard. Lundi 27, lorsque son offre a été rendue publique, Dominique Strauss-Kahn, a personnellement téléphoné à Serge Dassault pour lui dire que le gouvernement ne souhaitait pas qu’il achète L’Express. […] Vue ainsi, l’indépendance de la presse française prend toute sa dimension » (5/11/97).

Ces pressions de DSK au service des ambitions du Monde expliquent-elles la mansuétude à l’endroit du gouvernement Jospin dont le QVM fera preuve par la suite ? Pas seulement : l’antichiraquisme balladurien de Raminagrobis et du Nabot malfaisant ont joué leur rôle. Reste que le trio de cochers du Monde avait raté son coup. Il aurait contrôlé à la fois le principal quotidien et le principal hebdomadaire du pays (7). L’écume à la moustache, le Roi du téléachat fit publier sans tarder une enquête titrée « La Générale des eaux se livre à des recrutements très politiques » (10/01/98). Une telle curiosité journalistique, que le QVM ne manifestait plus guère dans les cas de Bouygues ou de Hachette, ne s’exercera pas très longtemps dans celui de Vivendi…

Raminagrobis :
« On dit que l'on est un objet d'intérêt pour les fonds de pension quand le taux de profit est de 15%. Le nôtre est de 22% »
Jean-Marie Colombani

  Acte 2
  Le Monde et Vivendi s’enlacent

Vivendi, c’est 320 milliards de francs de chiffre d’affaires, le premier employeur privé et le premier annonceur du pays (2 milliards de francs en 1998). Autant de considérations importantes pour un quotidien qui ne cesse de perdre des acheteurs depuis deux ans et dont l’équilibre financier dépend des sous de la pub. Raminagrobis n’a pas eu besoin que Minc, Sa Malfaisance Minuscule, lui dessine une tirelire. Il a avalé son ressentiment et fait ami-ami avec Jean-Marie Messier d’autant plus facilement qu’il avait partagé avec lui une tendresse proche de la passion pour Édouard Balladur (8).

En mars 1999, l’hymen est noué : le QVM et Canal Plus (filiale de Vivendi) concluent un accord d’échange de contenus rédactionnels sur leurs sites Web. Chaque mardi, les lecteurs du Monde qui n’ont vraiment rien d’autre à faire s’infligent la lecture d’une page du supplément « interactif » signée Canal Plus. La noce du Quotidien vespéral des marchés avec la filiale d’une des principales multinationales du monde est rendue publique comme suit : « Dès l’édition du 3 mars, des journalistes du site Web de Canal Plus ont pris en charge une page consacrée à l’univers d’Internet et du jeu vidéo. Tandis que Canal Plus mettra à la disposition du site du Monde un suivi en direct des matchs du championnat de France de football, Le Monde interactif alimentera en archives et articles les pages infos du site de Canal Plus » (QVM, 4/03/99).

Du coup, plus question d’enquêtes corrosives : Jean-Marie Messier, à la tête d’une entreprise qui s’est spécialisée dans la corruption d’élus municipaux et les pots de vins aux partis politiques, bénéficie d’un traitement de faveur. Le QVM brosse sur une pleine page un portrait dithyrambique de « Jean “magic” Messier » (QVM, 28/06/00). Un mois plus tard, les trois cochers du QVM obtiennent qu’un de leurs journalistes, Guy Dutheil, soit le seul invité au grand show organisé par Messier et Lescure (patron de Canal +) pour les salariés d’Universal Studios, que Vivendi vient de racheter. Dutheil se pâme devant la prestation des partenaires en affaires de Minc et Colombani. Émouvant aux larmes, son article insiste sur « le trac », « l’émotion », « l’excitation », « l’enthousiasme » de Jean-Marie Messier et de Pierre Lescure. Le journaliste « de référence » rapporte cette révélation sensationnelle de Lescure : « Pendant deux minutes, je n’ai pu dire un mot. Puis après j’ai téléphoné à ma maman » (QVM, 14/07/00). Ébloui, Dutheil omet de mentionner que Lescure est non seulement membre du conseil de surveillance du Monde (présidé par Alain Minc) mais aussi président du Monde-Presse, une société de financement du QVM dont Canal + est actionnaire. C’est sans doute ce qui explique la référence soudaine du QVM aux difficultés de Messier depuis que Lescure et lui s’affrontent. Toutefois, que les lecteurs sensibles de PLPL se rassurent : l’émotion n’empêchera pas Lescure d’empocher quelques centaines de millions de francs (non cryptés) de stock options quand il choisira de passer plus de temps avec sa vieille mère qui le réclame.

6. Raminagrobis essaiera de recaser Christine à la tête d’un hebdomadaire, L’Européen, qu’il créera pour elle. Cette publication, nullissime, périclitera quelques mois plus tard. Le Monde y a englouti près de 12 millions de francs.

7. La diffusion de L’Express et celle du Nouvel Observateur sont à peu près identiques, mais Le Nouvel Observateur n’est plus qu’un catalogue publicitaire serti d’un cahier télévision. De surcroît, les mensonges surnuméraires de Laurent Joffrin, son directeur de la rédaction, ont complètement discrédité cet hebdomadaire (lire notre enquête dans PLPL n° zéro.)

8. Le patron de Vivendi fut, de 1986 à 1988, directeur de cabinet du ministre des Privatisations qui opérait sous la tutelle de Balladur puis il fut conseiller technique de Balladur : c’est à lui qu’on doit quelques-unes des privatisations les plus nauséabondes chantées par le QVM.