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Colombani : « Le Monde et Hachette retrouvent désormais le chemin du dialogue qu’ils n’auraient jamais dû abandonner »

Raminagrobis a dû se durcir les crocs. En 1997, après son rachat raté de L’Express (groupe Vivendi), il « avoue une certaine candeur : l’idée que je me faisais du capitalisme n’était pas celle de la jungle mais d’un monde codifié où une parole est une parole » (Le Figaro, 6/11/97). Raminagrobis a vite appris ; Jean-Luc Lagardère, PDG de Matra-Hachette-Lagardère, lui a servi de professeur. Il y a quelques mois, Colombani s’est ainsi assuré le concours d’un certain José Frèches pour s’emparer du quotidien le Midi Libre avec le soutien d’Hachette. Une fois que José, l’idiot utile, a accompli sa tâche – non sans avoir évoqué ses « liens d’amitié avec Jean-Marie Colombani en qui j’ai une confiance totale » (Les Échos, 10-11/03/2000) – Raminagrobis le convoque dans le bureau du Nabot malfaisant et, au terme d’une séance d’humiliation, le congédie.

Dès 1997, les lecteurs du Monde les plus exercés au décryptage de la langue de bois auto-satisfaite que ce quotidien emploie pour parler de lui-même ont compris que Lagardère tient ce journal. PLPL explique pourquoi.

  Acte 1
  Raminagrobis et Lagardère sont fâchés

En janvier 1997, pour avoir, deux mois et demi plus tôt, annoncé à tort une procédure judiciaire intentée contre Lagardère, Le Monde est condamné à payer 200 000 francs de dommages et intérêts au patron d’Hachette. Dans son numéro du 31 janvier 1997, le QVM en informe ses lecteurs. Titré « Le prix de l’indépendance », l’article signé Raminagrobis explique que sa condamnation « frappe à la caisse un quotidien indépendant […] Depuis plusieurs mois [Le Monde est] en butte à une offensive du groupe Lagardère dont l’enjeu est tout simplement son indépendance […] Parce que Le Monde n’a pas épousé ses intérêts privés, le groupe Lagardère a décidé de le sanctionner. » Puis, le directeur du QVM détaille les risques encourus par les journaux qui dévoilent les méfaits des groupes capitalistes auxquels ils sont liés : « Actionnaire minoritaire de notre imprimerie par l’intermédiaire d’Hachette, [Lagardère] estimait sans doute qu’à ce titre nous devions être l’un de ses groupes de pression. Si tel avait été le cas, Le Monde ne serait évidemment plus Le Monde […] Un accord longuement négocié et prévoyant l’impression du Journal du dimanche, publication hebdomadaire d’Hachette, sur nos rotatives, a été brutalement suspendu. Des pressions sont exercées [par Lagardère] sur certains de nos partenaires pour tenter en vain de détériorer les relations sociales au sein de l’entreprise [Le Monde] ».

Après une salve de ce type, tout lecteur du QVM pouvait avoir compris que son quotidien ne fera plus jamais alliance avec un groupe susceptible de piétiner son « indépendance », de rompre « brutalement » un accord « longuement négocié » et de « détériorer les relations sociales » de ses partenaires. Colombani confirmait : « J’ai fait une découverte, celle qu’il est particulièrement dommageable que des industriels dont l’activité et la prospérité reposent des commandes de l’État, de la puissance publique ou des élus exercent leur emprise sur des organes de presse » (Le Figaro, 6/11/97). Mais Raminagrobis va changer d’avis…

  Acte 2
  Le Monde capitule

Sans doute conseillé par Minc, le Nabot malfaisant, Raminagrobis comprend vite les avantages de devenir le partenaire (plutôt que l’adversaire) d’un richissime marchand de journaux, de livres et de missiles. D’où un deuxième communiqué de Colombani, moins long et fanfaron que le précédent. Il y annonce que le contentieux entre Le Monde et Lagardère est clos : « L’accord qui met fin au conflit entre Le Monde et Jean-Luc Lagardère nous permet de renouer avec le groupe que dirige M. Lagardère des relations normales entre associés au sein d’une même entreprise […] De part et d’autre, les actions judiciaires sont donc abandonnées, Le Monde réitérant à M. Lagardère les excuses qu’il lui avait immédiatement présentées en regrettant profondément son erreur […] Le Monde et Hachette retrouvent désormais le chemin d’un dialogue qu’ils n’auraient jamais dû abandonner » (QVM, 5/03/97). De liberté de la presse en « péril », il n’est plus question. L’imprimerie du quotidien va recommencer à tourner sept jours sur sept.

Dorénavant, la feuille de Raminagrobis lustrera les bottes des puissances d’argent. Et le Nabot malfaisant de se frotter les menottes en pensant aux services rédactionnels tarifés qu’il va pouvoir rendre à ses clients milliardaires. Déjà, plusieurs patrons « acceptent de payer jusqu’à 1 million de francs par an pour s’offrir, une ou deux fois par mois, une séance particulière avec Alain Minc » (Capital, 04/98.) Une heure de conseils du président du conseil de surveillance du Monde équivaut donc au salaire mensuel de dizaines de stagiaires du quotidien. C’est ce que Sa Minuscule Malfaisance a appelé « la mondialisation heureuse ».

Le nabot malfaisant :
« Face à un empire soviétique qui a fait du temps sa meilleure arme, nous risquons d’être finlandisés peu à peu sans le savoir » (1986)
Alain Minc

  Acte 3
  Colombani enlace Lagardère

Depuis trois ans, partenariats, connivences et complaisances se multiplient entre le quotidien de révérence et le fabriquant de missiles.

Complaisances : les démêlés judiciaires et fiscaux de Jean-Luc Lagardère font l’objet d’une amicale discrétion dans Le Monde. Dans son édition du 30/09/99, par exemple, l’annonce du redressement fiscal de Lagardère est expédiée par une brève de 11 lignes.

Connivence : la même année, Le Monde n’insiste guère sur les conditions scandaleusement favorables de la cession (par Jospin, DSK et Gayssot) d’Aérospatiale à Lagardère.

Partenariats : en 1998, Le Monde et Lagardère concluent un nouvel accord sur l’impression du Journal du Dimanche (filiale de Largardère) par l’imprimerie du QVM. Et, en mars 1999, Hachette acquiert 34 % du Monde interactif, filiale multimédia du quotidien. Minc, ébloui par les « e-fortunes », a en effet convaincu Raminagrobis que non seulement les Soviétiques n’envahiront plus la France mais que le « capitalisme. fr » (5) permettra au journal de gagner des millions sans l’aide de Jean-Pierre Foucault. Or Colombani n’en gagne encore que 1,1 par an (QVM, 22/01/00).

Le site du Monde devient un fournisseur de services au graphisme calqué sur celui des portails internet de Hachette. Le « contenu » du journal servira de caution : le QVM ne vend plus de l’information à ses lecteurs ; il vend ses lecteurs aux annonceurs des sites Internet de Lagardère. Quand Raminagrobis théorise – « le Net, qui est d’abord un carrefour, nous montre le chemin » (Le Figaro, 22/07/00) –, Alain Giraudo, alors patron du Monde Interactif, précise : « Nous partageons notre clientèle avec Club Internet » (CB News, 2/05/00). Raminagrobis exigera que tous ses journalistes se transforment en colporteurs de la net-idéologie. D’où les « unes » loufoques : « Ces enfants du Net qui jouent à la Bourse » (9/04/00) ; « En France, la politique. com » (13/04/00) ; « Dieu s’installe sur Internet » (9/07/00).

Mais l’investissement, qui ne rapporte rien avant la cotation en Bourse de l’entreprise, est intenable pour un Petit Poucet capitaliste. Nouveau recours à Lagardère. Le patron des NMPP et des Relais H tient désormais le Grand Quotidien Moral de Référence que Toute la Terre nous Envie. Colombani et Minc n’ont conquis Le Midi Libre que grâce au feu vert d’Hachette. Selon Les Échos, Lagardère a laissé « les mains libres au Monde, considérant que le journal de Montpellier tombera dans des mains “amies” » (9/03/00). Colombani confirma : « Tout cela s’est fait dans un bon climat et une relation constructive avec Hachette » (CB News, 20/03/00). L’idylle est tellement sucrée qu’elle devient collante : déjà actionnaire du Monde Imprimerie et détenteur de 35 % du Monde interactif, Lagardère veut à présent lancer une chaîne « à dominante économique et financière ». Naturellement, il y associe le QVM. Cette télévision permettrait (enfin !) de suivre en continu les cours de la Bourse. Pour célébrer, les poches pleines de cigares, le jour prochain où Le Monde y fera son entrée en fanfare…

5. Titre du dernier livre annuel – 21 essais, aucun transformé, depuis 1979 – du nabot malfaisant. Le Monde les juge à chaque fois géniaux et leur réserve une place de choix dans ses colonnes. Cette fois, un dossier de quatre pages consacré à la « nouvelle jeunesse du capitalisme » comprenait un article très flatteur pour Minc de Laurent Mauduit, auteur quelques mois plus tôt d’un faux scoop célèbre sur la « cagnotte » de Bercy.

6. Raminagrobis essaiera de recaser Christine à la tête d’un hebdomadaire, L’Européen, qu’il créera pour elle. Cette publication, nullissime, périclitera quelques mois plus tard. Le Monde y a englouti près de 12 millions de francs.