Pour lire délire

On sait aujourd’hui que Le Monde a censuré une partie des propos enregistrés par Jean-Claude Méry sur sa fameuse vidéo. Il a également soustrait à ses lecteurs, par négligence, un document essentiel qui se trouvait entre deux longs « blancs » de la cassette. PLPL, qui sait conduire une enquête, livre à ses lecteurs cette information, en exclusivité. Il s’agit du prochain programme de la gauche plurielle, rebaptisée « gauche multiple », pour lequel Jean-Claude Méry essayait d’obtenir le soutien logistique du groupe Vivendi. Ce texte, rédigé dans un TGV entre Bruxelles et les Côtes d’Armor, s’intitule « Manifeste pour une société post-sociétale ». Il est présenté sous la forme moderne et interactive d’un entretien avec un haut-responsable socialiste, anonyme pour l’instant.

Haut responsable socialiste : Chacun le sent bien : totalitarismes, populismes et replis corporatistes ont laissé ce siècle exsangue. Mais les sacrifices de plusieurs générations galère n’ont pas été vains. Ils nous obligent à activer sans tarder les liens d’une société post-sociétale européenne. Inter-réactivité, hyper-nomadisme et portails polyphoniques de proximité (PPP) montrent déjà la voie. Mais seuls, ils ne suffiront pas à faire émerger l’iceberg de la société civile éthique à laquelle nous aspirons. Nous souffrons encore de la sclérose des archaïsmes syndicaux. Eh bien, au nom de la gauche, nous y opposons l’idée de clusters de tribus que dessinent, dans l’entreprise citoyenne, les figures d’une socialité exubérante et polymorphe. C’est incontournable.

Jean-Claude Méry : Vivendi, vous le savez, cherche à développer une politique.com humaniste et décontractée. Comment expliquer à M. Messier l’absence dans votre programme de mesures à caractère social ?

Haut responsable socialiste : Je vais être brutal : l’idée d’une politique sociale renvoie à un despotisme du collectif et constitue le fourrier d’un nouvel hitlérisme. Seule la segmentation fractale de la société permettra d’atomiser les revendications catégorielles et de mettre un terme à la surenchère démagogique des criailleries salariales. Comme le prouve l’engouement pour les nouveaux objets du city surf (rollers et trottinettes), l’iceberg de l’autonomie émerge en réponse à une demande sociale. Flexibilité et mobilité imposent l’obsolescence de toutes les institutions collectivistes : manifestations, transports en commun, salles de cinéma, restaurants, etc. C’est déjà, c’est enfin le retour du sujet dans une société horizontale ! Et le développement des cyber-résistances va encourager des constellations de clusters en réagencement perpétuel !

Jean-Claude Méry : Ce qui me paraît enthousiasmant dans votre projet, c’est l’appel à l’autonomie. Mais Vivendi peut-il faire confiance à la gauche multiple, qui inclut toujours un parti « socialiste » ?

Haut responsable socialiste : Nous briserons tous les tabous ; soyez-en certain ! Nos combats à venir, effervescents et multiculturels, dissoudront les arthroses organisationnelles qui avaient encouragé notre engouement pour le totalitarisme. Certains nous disent : connexité plutôt que frilosité. Allons plus loin : bohème interactive et e-profit tout de suite ou goulag demain !

Jean-Claude Méry : Vous y allez fort en effet… Mais certains de mes clients vous jugent en retard par rapport aux mutations en cours. N’y a-t-il pas chez vous un reste de nostalgie pour un modernisme un peu étriqué qui rechigne devant les stock-options ?

Haut responsable socialiste : La réalité est plus complexe. Reconnaissez au moins que la gauche multiple a déjà fait son « entrée en Bourse ». Mais des résistances existent, je l’admets. Parfois hélas, nous devons tenir compte de l’espace que l’autre s’est créé… Nous exemplifierons notre point de vue par le débat et le jeu démocratique : assez d’oukases ! Et toujours plus de vigilance face à un populisme rouge-brun qui s’obstine à ruiner par l’impôt les efforts des entreprenautes hyper-innovants. Nous revendiquons la vraie pensée radicale : anti-hiérarchique et post-normative. Communautaire, elle puise déjà sa force subversive dans la mosaïque de nos start-up.

Jean-Claude Méry : Disposerez-vous de suffisamment d’appuis pour transposer, dans les faits, une telle révolution copernicienne ?

Haut responsable socialiste : Les médias nous sont acquis, et les écologistes, enfin réconciliés avec la consommation, nous aident à identifier cette prochaine majorité des minorités que vos annonceurs pourront cibler. À terme, il s’agit bien de fragmenter l’individu dont l’unité nous menace d’un retour à la France moisie. Philippe Sollers, Rocard et nos amis du Monde et du Medef vont nous y aider.