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 madre

  Lettre à une jeune amie.
 à propos des blogs

 
 Frédéric Madre 
 

 
(cinq) juillet 2003
    

 

 

   
N

on, je vous remercie. Ce que vous faites je l’apprécie parce que je ne le fais pas. Non pas parce que c’est vous, mais parce que ce n’est surtout pas moi. C’est en dehors de moi, tenu au delà, mais c’est un point du cercle que j’ai choisi de parcourir, ce cercle qui tourne autour de moi par l’intérieur et dans lequel je cherche à me retrouver sans jamais y parvenir. Si ce cercle je l’ai choisi c’est essentiellement par défaut. Défaut de tout, à force de chercher en tous sens où j’étais, le cercle s’est tracé ; c’est seulement en considérant ma vacuité, ensuite, que j’ai vu, il était là, on ne se quittait pas. Pire, j’ai vu que ce cercle me recouvrait et me suivait, un chewing-gum élastique jamais sec mâché par moi un jour c’est vrai, par moi mais un jour mauvais comme il y a.

Lâchez-vous de moi, retenez ce que vous voudrez il n’y a pas d’injonction parfois c’est du dégoût que ça vient. La critique (et toute théorie) vient des faits et ne peut que reformuler un peu comme si c’était un tout afin de lui donner sa consistance de peu et non l’inverse. S’il y a ici de nouveaux problèmes ils sont encore très loin de nous, très loin de notre niveau de compréhension en tant que problèmes, pour l’instant à l’état indistinct d’attraits. Pourtant ce n’est pas le lieu de répéter de vieilles questions. Avançons, puis on reviendra ici et ce sera plus clair. Restez en arrière, je dois leur parler.

On tourne en rond, toutefois. Les idées sont faites pour être dépassées. Vous êtes des personnages, très bien, moi aussi.

Circulez maintenant, hors de ma vue. Tout cela est insuffisant, une vulgaire répétition des maîtres anciens, le va-comme-je-te-pousse de l’ordre établi. Sachez-le : nous ne pourrons nous aimer. Je vous observe, vos blogs sont fréquentés par mes semblables mais par défaut il ne s’agit que de morbidité compulsive jamais arrêtée sur rien, comme on ralentit sur l’autoroute pour voir l’accident auquel on a échappé encore une fois. De même, vous les personnages, ne vous arrêtez à rien. S’il est vrai que la page blanche n’existe pas - oui je le crois la page n’est blanche pour personne, elle est beaucoup trop pleine alors qu’il s’agirait de contenir le blanc, de le retenir en ce qu’il détoure des choix et présente la contention, si cela est vrai il faut maintenant se servir de ce que l’on sait.

La pléthore de coopérateurs qui s’assure que le remplissage soit permanent et manifeste, le renouvellement incessant, la profusion exaltante, cette pléthore je l’abhorre pour cela même, car elle désagrège l’allure des associations. Je vous demande de l’abhorrer avec moi, d’oublier le visiteur et le gavage censé lui plaire, de penser d’abord à vous. De penser au template du blog, à sa fonction, qui n’est pas de faciliter la lecture (on cherchera un autre mot plus tard) mais de contraindre l’auteur (on cherchera un autre mot, définitif celui-là), à animer son désir depuis l’intérieur du blog, à empêcher, s’il le faut , les collages d’œuvrettes abortives. Le template est une matière vive qui s’apprend et se conquiert, pas une pâte molle et apte à tout, surimi à bords rouges. Pensez vous puis faites ce que vous voulez, laissez-moi détourner le regard. Laissez moi me déplacer encore une fois à l’extérieur, devancez-moi, dispersez-vous, allez voir ailleurs si j’y suivrai.

En vous, ma jeune amie vers qui je reviens, excusez mon énervement, en vous je fonde de grands espoirs. Ça prend une autre tournure. Vous avez compris qu’il s’agit de construire des mondes frêles et inconnus. Peu fréquentés, sans explication, ils existent, se tiennent un moment, peuvent disparaître lorsqu’ils ont fini d’être des mondes, se renversent sur eux-mêmes ou se reconfigurent à volonté, mais inévitablement. Ils sont bâtis d’une nécessité interne, ils visent un impossible, et sont fermés sur eux même, limitent la traversée. Ils fondent une constellation, un moment, qui brille et se reflète partout, luit et s’éteint.

Cette extinction est aussi belle que leur vie, ils échappent à tout établissement, à tout pouvoir, à tout consensus, aux conformismes. Faites vos mondes, alors, sans penser aux spectateurs indifférents qui nous tuent, faites nous vos mondes, allez, sans penser aux pages reblanchies à chaque minute. Allez, on bouge de là.

ps: Je vois maintenant que même nos confrères historiques font des blogs : guillermito, davduf et le menteur font des blogs... Oui je veux bien comprendre que c'est ce que nous avons tous recherché à un moment ce moyen technique simple de publier tout seul et quand on veut car après tout ce serait le contenu qui importe on a pu le croire. Or, non, ce que je veux dire ici c'est qu'il est nécessaire qu'au moins la technique s'interpose entre nous et notre désir de publication, qu'au moins la technique nous arrête ou nous transporte, impose sa forme et son rythme, car nous ne savons pas le faire nous même et ne sommes plus ici dirigés que par la pulsion, soit un imaginaire « do or die » entretenu par tout simplement lui-même.

ps: Et ça suffit comme ça.

ps : Je parle d'expérience.

   

  

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Frédéric Madre

 
   

  
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