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 madre

  Absence de liens.

 
 Frédéric Madre 
 

 
(zéro) 23/07/01
    

 
 

   
ien de ce qui se passe sur le web n’a d’intérêt en dehors du web. Je vois les fichiers de logs qui s’accumulent dans le répertoire de mon site et je pense que quoi qu’il arrive les gens viendront le voir même si il n’y a rien de plus à voir, rien de nouveau. Ils viendront le voir parce qu’ils sont sur le web et il n’y a que ça à voir, ici, finalement. Après, c’est fini, il ne se passe plus rien et après tout, que peut il bien se passer après qu’on ait vu un site web ? On éteint et la vie recommence, plus directement satisfaisante ou vraiment plus infâme.

 Le téléphone sonne et la fille me dit « c’est vous qui m’envoyez tous ces messages ? ». Tous les jours des millions de messages sont envoyés, reçus, lus, supprimés, archivés aussi. Peut-être que je les envoie tous ces messages, c’est ce que pense la fille que je ne connais pas et qui m’appelle de New-York pour savoir qui je suis, c’est ce qu’elle croit. Ce n’est pas la seule, une autre que je connais bien mieux me renvoie systématiquement tous les spams qu’elle reçoit en me demandant d’arrêter. Parfois ce sont des spams qui ont un rapport direct avec ce qui lui est arrivé dans la journée, comme quand son chien est mort. C’était moi et j’ai dû arrêter d’essayer de lui expliquer que non, c’était pas moi et que je suis en France pas à Washington. Ça n’a pas d’importance et elle est seule, à vivre pleinement cette schizophrénie du web. Si je détourne le regard de mon logiciel de mail je ne vois plus son chien mort et sa détresse face à des messages qui lui répètent la mort, le sexe, l'argent, des messages de moi forcément qui détourne mon regard, je me sens coupable. Je supprime ses messages dès qu’ils arrivent.

 Peut-être que c’est moi qui lui envoyait tous ces messages à la fille de New-York. Peut-être qu’elle ne recevait que des messages de moi, rien d’autre. J’avoue lui en avoir envoyé, et puis elle me demande si je suis beau.

 Ceci est une critique du web. Je commence cette rubrique en français pour que l’on s’attarde sur cette vanité extrême qui consiste à faire des sites qui n’auront aucune importance. Il s’agit aussi de montrer que les sites de nos ennemis n’ont aucune importance mais que nous leur livrerons, de ce fait, une guerre sans merci. Internet est une garden-party. Internet est un drame bourgeois. Je reçois un mail d’un ami américain qui me demande d’écrire un truc d’urgence sur Gênes, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas écrire là dessus, je pense que ça ne sert à rien. Il m’envoie une image de jambes d’être humain qui dépassent de sous un véhicule de flics, qu’est-ce que je peux ajouter à cette image ?

 À la place de cette image, je mets dans le weblog un lien vers un site de fans de Buffy, des gens qui écrivent des histoires avec les personnages de Buffy, des fausses histoires inventées par eux, des histoires rêvées de Willow avec Angel ou d’autres combinaisons de personnages qui sont sans doute improbables, j’ai perdu le fil. À chaque fois ils répètent que les personnages ne sont pas d’eux et qu’ils appartiennent au créateur de la série, Joss Whedon, ils se sentent coupables, certains ajoutent Warner Bros. et Fox TV. Si ils veulent ils peuvent faire fermer le site, ils ne peuvent pas interdire qu’on parle de Buffy dans la rue, chez soi, qu’on pense à Buffy, à des fausses histoires inventées de Buffy avec Willow. Peut-être qu’on a pas le droit, en fait, mais juste de regarder la série et d’acheter les romans de la série ? La limite c’est juste quand on se met à gagner de l’argent là où l’autre n’a pas pensé en gagner et qu’il s’en aperçoit, la limite c’est quand la page arrive en tête dans google et que ça dépasse les vraies histoires inventées de Buffy, c’est la bonne vieille limite de l’ordre public et de son trouble.

 Pour rétablir l’ordre tout est permis, pour susciter le trouble il en faut peu. Tous les jours ces millions de messages qui ne servent à rien, les gens se rencontrent, discutent, ne sont pas d’accord, s’aiment, suppriment les messages, regardent les images envoyées par les amis, passent à autre chose. On passe forcément à autre chose et on sait bien qu’on va oublier, ce n’est pas comme si on avait un album de photos. On a rien, il ne reste rien, des traces immédiates du passage sont dans le cache, l’historique, tout ça est inutilisable au bout de deux jours, même pas la poussière.

— Je vous ai écrit pour vous poser une question et puis vous avez commencé à me draguer.
— En fait, je crois plutôt que c’est vous.

 On raccroche et tout est fini. On connaît le nom du type qui est mort sous le véhicule vert. Je n'arrive pas à m'y résoudre.
    

  

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Frédéric Madre

 
   

  
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