Maison Écrivez-nous !   Société Textes Images Musiques

  Events,

 
   

failures
 

 
    Charles Bösersach

Novembre 2001
vdqs

 
  Charles Bösersach  

 

  

es pauvres gens (qui mendient, essaient de vendre des journaux) : on les croirait d’un autre temps. Leurs vêtements démodés, certes, mais aussi : toute leur physionomie, comme ces portraits de criminels qu’on montrait dans les manuels de physiognomonie, il y a un siècle…

 Je me trouve pas beau — à distinguer de « je ne me trouve pas beau ».

 Sur le trottoir, à la descente du bus : quelques pages arrachées d’un bouquin de cul, dont une grande photo montant une énergique fellation. Les gens passent, ils ne voient rien, ne regardent même pas !

 Les deux ronds.

 Cet homme, tous orifices bouchés (lunettes aux verres épais, walkman, cigarette au bec et casquette enfoncée sur la tête) ; il repère quelque chose qui dépasse d’une poubelle : le manche d’un parapluie. Il l’extirpe des ordures, l’ouvre, l’examine, essaie de le rafistoler (les baleines sont tordues) — et c’est très particulier, cet homme-là, qui brandit son parapluie alors qu’il fait très beau. Enfin il renonce et le remet où il l’a trouvé.

 Le chevalier dard mental.

 Pour les humilier, pour humilier leurs parents, on fait mine de jouer : peintures de guerre. Ce sont de grands signes noirs qui barrent leurs joues ou leur front ; des croix, des traits. Ensuite on les renvoie chez eux, avant même l’heure de sortie de l’école (autre infamie). Et les parents comprennent, ils ne protestent pas. Ils ne savent même pas s’il doivent (peuvent ?) nettoyer le visage de leurs enfants.

 Je suis,
tu es,
il suit,
nous sommes,
vous suivez,
ils sonnent.

 Nom, prénom : marque, modèle.

 (rêve) on se promène par la campagne. Tout est très beau, calme, lumineux. Il y a un champ de maïs — de blé ? — en face d’une maison que nous voulons voir de plus près. Mais passe une voiture, une voiture américaine gris clair qui ressemble à une 203, en plus lourd, plus massif, lente, silencieuse. On sent que sa carrosserie est épaisse. La voiture se gare un peu plus loin. C’est très menaçant. Nous revenons vers la maison, lentement, comme si de rien n’était. Nous nous mettrons à courir dès que nous serons hors de vue, sans être certains de pouvoir leur échapper, sans être certains qu’il y ait une issue. Rien ne bouge pourtant mais nous avons très peur.

 Le pingre y est.

 Escaliers roulants : certains les évitent, d’autres, une fois dessus, s’immobilisent (et parmi eux ceux qui semblent assez peu rassurés), et il y a ceux qui continuent d’avancer…

 Le pagne est percé.

 Ce vieil homme, à la pharmacie, avec un énorme pansement sur la joue. Il veut un antalgique. Il parle mal le français. Il ne connaît pas le nom du produit qu’il désire alors la pharmacienne lui montre les boîtes, les comprimés. Après plusieurs essais, il dit « c’est ça ». La pharmacienne explique que c’est effervescent, qu’il faut les mettre dans l’eau. Alors lui, contrarié : « c’est pas ça »… Alors ils recommencent.

 Un fond perdu, dix de retrouvés.

 (out of date) rien à dire à propos du WTC si ce n’est, contrairement au cliché qui institue que la réalité dépasse la fiction, que les images de la réalité (!), malgré les efforts parfois pathétiques des journalistes, restent bien plus triviales, moins « émouvantes » (à moins de se répéter sans cesse que « là c’est vrai ») que les images produites par la fiction.

 L’hameçeur.

 J’aimerais un film (ou un livre) policier en conformité avec ma représentation du monde : les témoins se trompent, mentent ou s’en fichent ; la police égare des preuves, les dossiers sont mal tenus, le juge d’instruction est harassé, surmené et pense à sa retraite proche, le procès est une vaste blague, l’avocat est incompétent ; le condamné (à tort — mais ses proches, le croyant coupable se sont détournés de lui…) se fait racketter, tabasser, violer en prison (et pour finir en meurt) ; les gardiens sont indifférents ou pis. Le vrai coupable continue paisiblement sa vie paisible. Les proches de la victime et de l’innocent indûment condamné oublient rapidement et « la vie continue », gaie, alerte.

 Portable, effet « debriefing » : après un léger « incident » dans le bus (un jeune homme qui voulait descendre l’a vertement priée de libérer le passage), cette femme appelle immédiatement quelqu'un pour lui raconter l’événement.

 Partir m’emmerde. Littéralement. Diarrhée quelques minutes avant le départ. L’idée ce serait : être ici et, l’instant d’après, là-bas (puisqu’il faut y aller). De fait, les « vacances » cumulent deux notions distinctes à mon sens (outre le non-travail) :
- être ailleurs, et que ce soit si possible un endroit agréable, tout au moins plus agréable que l’endroit où l’on vit habituellement ou, à défaut, un endroit différent.
- voyager c'est-à-dire effectuer une translation géographique d’un point à un autre. Cette translation peut être source d’agrément ou d'intérêt mais aussi d’ennui et d’inconfort. J’ai pour ma part su concilier ces divers aspects lors d’un voyage de nuit en train couchette (2è classe) d’une durée de sept heures. Inconfort, odeur de pieds, ronflement, chaleur excessive puis froid. Rires agaçants dans le compartiment d’à-côté, difficultés à trouver l’interrupteur, envie de pisser avec laquelle on tente de négocier… autant d’éléments avec lesquels je sus délicieusement composer, non par masochisme, mais par une sorte de goût pour l’exotisme minimal. Un exotisme local, réduit, très sobre et surtout — temporaire. De cet enfer très modéré on sait que — très probablement — on sortira indemne, que l’on reviendra dans la lumière, dans le monde des vivants avec pour seul stigmate cette moiteur grasse et un peu métallique caractéristique des longs voyages en train et qu’une bonne douche suffit à dissiper.

 Au soir de la première journée de travail nous avions les mains en sang.
— C’est le métier qui rentre faisaient les vieux en rigolant.

 Le petit jeune homme bien propre, costumé, cravaté, rendait deux livres à la bibliothèque, du genre « comment réussir dans vos nouvelles fonctions », « comment assumer vos nouvelles responsabilités ». Tout en lui transpirait le sérieux — et l’angoisse.

 Un landau, poussé par l’enfant « qui devrait être dedans ». Vu de face, on croirait que la poussette avance toute seule.

 On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs dit-on. Parfois on aimerait. Faut-il nécessairement renoncer à l’omelette ? (d’un autre côté, il y a des moments où c’est surtout casser des œufs qui nous intéresse).

 Ici, tout le monde se connaît (sauf moi).

 Une très énergique grande fatigue.

 Je ne suis pas très intelligent mais je pense être assez doué pour donner le change.

 Nous avons la même tête mais ce qui chez eux dénote colère, méchanceté, traduit chez moi tristesse, lassitude.

 Baudruches increvables.

 Ils étaient sympas ces chinois dans le bus — mais cette odeur d’ail lorsqu’ils ouvraient la bouche !

 Il y a sur les vitres des bus une flèche qui indique comment sortir en cas d’accident. Je me sers de cette flèche (feng shui) pour viser les passants antipathiques.

 Pourquoi cette façon de faire comme si le monde était composé pour moitié de chèvres et pour moitié de choux et qu’il faille à tout prix les ménager ? À vouloir ne faire de peine à personne on finit par faire souffrir tout le monde.

   

  

Charles Bösersach

Charles Bösersach

 
    

  
maison   société   textes   images   musiques