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  Mantelle

  OtiUm N°2

 
  Mantelle  
  Le 1er mars 2001.  
 

« La louange qu'on nous donne quand nous ne sommes plus au monde nous est fort inutile, puisque nous ne nous en soucions plus ; au contraire, quand nous y sommes, le blâme nous peut servir à l'amendement ; de sorte que si l'on fait bien, il est très raisonnable qu'on en reçoive le salaire durant la vie ; et si l'on fait mal, on est encore en état de s'en corriger »
(Saint-Amant)

POPULISME URBAIN
Les téléphones portables : triomphe de l'individualisme de masse et privatisation des espaces collectifs.
La pénible expérience se renouvelle chaque jour. Dans les transports en commun, alors que je bouquine, que je me laisse aller à rêvasser, que je m'amuse à refaire le monde, je suis systématiquement bousculé par une sonnerie de téléphone portable et par les propos consternants qui suivent.
Pendant un temps, je n'avais pas attaché beaucoup d'importance à ce nouveau « phénomène de société » et je retrouvais généralement mon calme en me plaisant à diviser le monde de ces « communicants » en deux catégories : d'un côté, les « connards » pour désigner ceux qui semblent ignorer qu'en bétonnant l'atmosphère avec leurs platitudes, ils inspirent des envies de meurtres à une dizaine de personnes au moins ; de l'autre côté, les « salauds », pour désigner dans cette faune urbaine connectée les plus conscients d'entre eux, qui non seulement se rendent parfaitement compte de la gêne qu'ils occasionnent mais qui —est-ce possible ?— trouvent cela assez drôle.
Puis, un matin, sur la ligne 62, aux abords de la BNF, j'ai eu un doute. J'ai douté de la justesse de mon analyse quand il m'a paru de plus en plus difficile d'attribuer ces comportements à un simple glissement naturel de mes contemporains vers l'individualisme de masse ; j'ai douté quand il m'est devenu moralement insoutenable d'attribuer cette attitude barbare à des êtres humains dotés de la sensibilité et de l'intelligence qui font leur réputation. Car, tout de même, pour être systématiquement là, à côté de moi, à me pourrir le cerveau, à visiblement tout faire pour disloquer mon esprit quand, tout à mes lectures de la presse ou d'un roman, j'entreprends de m'informer, de me cultiver ou d'apprendre quelques rudiments de la vie ; pour être systématiquement là, au pire moment (leur précision est diabolique, ça fait peur), à me nuire impunément lorsque je suis attaché à démêler une réflexion ou à dépatouiller mes contradictions ; pour être systématiquement là, à postillonner dans leurs appareils, alors que, transporté par l'émotion, je nage dans la confusion d'une touchante rêverie. Non, pour être là, avec cette effrayante ténacité, avec cette assurance et ce mépris d'autrui, à me balancer, sans vergogne, leur abrutissante logorrhée, il faut avoir une motivation toute particulière…
Alors quoi ? Qui sont-ils alors ? Pourquoi affliger ainsi les rêveurs et les lecteurs solitaires ? J'ai d'abord rejeté l'hypothèse qu'il pouvait s'agir d'Aliens venus sur Terre pour lobotomiser mes semblables, ce n'est pas sérieux et c'est même pas drôle. J'ai refusé de croire aussi qu'il pouvait s'agir d'hallucinations puisque je suis, par chance, doté d'une assez bonne santé psychologique. J'ai opté finalement, après ma petite enquête, pour l'hypothèse la plus vraisemblable. En réalité, ces individus étranges plein d'énergie, qui répandent dans les bus ce surprenant flot d'idioties, seraient des « technomades » envoyés par les grandes multinationales de la téléphonie mobile. Leur mission : crétiniser et intégrer. Crétiniser, c'est-à-dire, empêcher les passagers de réfléchir, de se créer un imaginaire propre ; les empêcher surtout de développer des perspectives utopistes et, à la longue, dissiper toute émergence de pensées rebelles, de volontés perturbatrices. Puis intégrer, c'est-à-dire domestiquer cette population fragilisée, neutralisée, et la contraindre, doucement mais inexorablement, à faire l'acquisition urgente d'un mobile, devenu « indispensable ». Il paraît même que certains de ces nouveaux adeptes de la secte de l'homos communicans, une fois « intégrés », procéderaient eux-mêmes directement de façon compulsive (comme les « technomades »), à l'entreprise de crétinisation dans les transports en commun. Mais cela reste à vérifier…
En guise de conclusion : un téléphone portable qui sonne, c'est votre intégrité humaine qui ramollit quelque part !
Une solution : bugger le parasite « technomade » en lisant bruyamment dans son oreille libre quelques lignes de votre roman ou de votre journal. Mais si vous avez d'autres solutions…

RÉHABILITATION
Fusion Le Monde des Débats - Nouvel Observateur : vers de nouvelles occasions de se bidonner?
Au début, je croyais que la vie d'une prothèse ne pouvait inspirer aucune sorte de curiosité. Quand j'ai appris que cette prothèse portait le titre prétentieux de « Monde des Débats » et qu'elle servait de béquille intellectuelle au dépliant publicitaire, Le Nouvel Observateur, j'ai même baillé très fort et, bizarrement, j'ai fait toute la vaisselle en retard.
Or, je sais maintenant que je suis un idiot : j'ai découvert que les papiers de Jacques Julliard ou de Jean Daniel, qui n'avaient évoqué pour moi pendant des années qu'une sorte de gelée visqueuse pour électeurs PS, étaient, en réalité —il faut réparer cette injustice— des textes très rigolos, des textes destinés uniquement à nous faire rire (PLPL l'a compris, lui).
Prenons un exemple : ce mois-ci, Le Monde des Débats affirme en Une : « L'économie : l'horreur est finie » et abonde dans ce sens dans ces pages intérieures. Votre réaction, je n'en doute pas, car votre esprit est imbu de contestation, aura été de vous affliger ou de vous demander ironiquement qui pouvait encore trouver la force d'écrire sans rire de telles fadaises… Quel manque d'humour ! Quelle attitude sectaire ! Vous vous attristez alors que vous devriez vous tordre comme des baleines ! Comment pouvez vous croire un seul instant que Le Monde des débats puisse publier de tels âneries sans plaisanter, sans intention de distraire simplement son lectorat ? Aussi, je vous le demande, cessez une bonne fois pour toute de porter le discrédit sur les journaux de la social-démocratie, reconnaissez qu'ils ont le mérite d'être terriblement poilants et de nous faire beaucoup de bien (il suffit de faire un petit effort…) et rions comme il se doit.
Et, prenez garde : si demain, Le Monde des Débats annonce un échange d'actions avec Le Revenu (« l'hebdo conseil Bourse & Finances »), ne nous affligeons pas, mais saluons au contraire cette formidable excentricité avec les éclats qu'elle mérite !…
J'en ris d'avance…

COLLABORATION
Le serment d'allégeance de Michel Serres à l'Ordre des cyber-neu-neu.
Comme nous sommes plusieurs à l'avoir vu, ça ne pouvait pas être un mauvais rêve. Michel Serres, dont la crinière blanche est connue, travaille aujourd'hui dans la publicité et se rend désormais complice de VIVENDI. Lui, qui fut autrefois fréquentable, émet le vœu idiot, dans un spot publicitaire pour SFR, que les français vivent bientôt la grande aventure des réseaux. En d'autres termes, Michel Serres, qui fut autrefois philosophe et historien des sciences, a pour mission désormais de débusquer chez les français leurs besoins de communication frivole et de les transformer en bonnes marges bénéficiaires pour faire plaisir à Messier. Michel Serres, qui récemment encore paraissait intellectuellement crédible auprès de celles et ceux qui cherchent à mieux comprendre le monde, gagne donc aujourd'hui sa vie en travaillant dans l'entreprise d'abêtissement collectif et de contrôle des esprits orchestrée par les grandes multinationales de la « communication ». Michel Serres, qui pouvait autrefois nous paraître sympathique, agite désormais l'étendard de la cyber-démocratie et trouve donc intéressant de forger des psychologies de cyber-moutons enthousiastes et de diffuser l'imposture crétine d'un futur partage des savoirs comme solution aux problèmes contemporains.
Michel Serres, c'est évident, est un individu néfaste.

 
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