Mantelle   OtiUm N°1  
  Mantelle  
  Le 22 février 2001.  
 

« Nous n’avons pas à être fiers de constater que nous nous sommes acclimatés à ce spectacle écœurant »
(Claude Courtot / Les Ménines)

Comparatif : Alexandre Adler / les astrologues.

Les astrologues, par leur fadaises, contribuent incontestablement à la barbarie de notre temps. Ils accumulent, avec un art de la synthèse remarquable, un nombre époustouflant d’inepties et parviennent, malgré tout, à conquérir des esprit intelligents et d’ordinaire clairvoyants. Alexandre Adler, quant à lui, commentateur infatigable et très envahissant de l’actualité internationale, se révèle comme un expert dans l’art de la propagande obscurantiste pro-libérale (« Les vrais démocrates n’ont pas peur de l’OMC »…).
Mais, me direz-vous, quels rapports entre les astrologues et ce malheureux Adler ? Et bien, à mon sens, ils ont en commun, dans leur entreprise respective, l’objectif de faire croître une fiction confortable dans la tête de leurs victimes : pour les astrologues, le destin, comme super idéal de soumission des hommes ; pour Adler, la croyance absurde dans les supposés potentiels du capitalisme.
Résultats : les astrologues et Alexandre Adler se révèlent, tous ensemble, comme d’excellents pourfendeurs de l’insubordination, et malheureusement, tout laisse à penser que leur combat visant à faire admettre que tout changement de société est structurellement impossible fonctionne pour le moment assez bien.
Pour le moment…

Parlons un peu révolution.
Qu’à mon âge (une petite trentaine), je puisse encore sortir le plus sérieusement du monde des mots comme « révolte », « révolution prolétarienne », « Internationale » (une bonne IVème de préférence), « jours meilleurs », « lendemains qui chantent », « communisme », cela en choque plus d’un.
Allez comprendre pourquoi ! Est-ce que vouloir changer le monde est si mal vu que cela ? Pour avoir une réponse, balancez ces mots au cours des dîners avec vos amis ! Cela peut être instructif, et même parfois très drôle. J’ai notamment souvenir de soubresauts et de rictus chez les plus calmes d’entre eux... Et puis cela permet de mettre fin aux sujets de conversations assommants sur les différents forfaits en cours dans la téléphonie mobile, sur la navrante évolution de France Inter ou sur l’avenir incertain des start-up.

Des idées pour après la révolution
(si vous en avez d’autres, elles seront les bienvenues)
Pour commencer : je propose, afin de prendre les bonnes décisions au bon moment, que les prochains soviets commencent par imposer la dictature de la lenteur (et suppriment, par la même occasion tout les mots qui rappelleraient les temps anciens, comme « performances », « efficacité », etc.).
D’urgence, après avoir rendu l’éducation permanente, il faudra rendre la poésie obligatoire pour tous. On se récitera des poèmes dans les transports collectifs qui auront remplacé les embouteillages et les nuages de gaz carboniques. Ne pas oublier évidemment de procéder au ratissage de tous les Parcs de loisir, de transformer le palais Brognard en musée de l’horreur économique, de condamner aux travaux d’intérêt général à vie (dans un premier temps) : Alexandre Adler, Jean Daniel, Jean-Marie Colombani, Robert Hue, Laurent Joffrin, Luc Ferry, Thierry Ardisson, Laure Adler, Serge July et Daniel Cohn-Bendit).

En attendant, quelques lectures pour ne pas sombrer dans la résignation ou la dépression.
- Révolte.com de Denis Robert / (Les excellentes) Éditions Les Arènes.
Denis Robert écrit comme certains flics dégainent, sauf que lui ne répand pas la terreur autour de lui. Dans un cri de révolte ininterrompu d’une centaine de pages, il met des mots derrière ce que bon nombre d’entre nous, confusément, intuitivement, pensons de notre monde. Contre les besoins factices qui nous parasitent, contre les illusions qui perdurent, un témoignage qui aide à débusquer derrière notre passivité l’insubordination qui sommeille en nous. Salvateur.

- Les Ménines de Claude Courtot / Le Cherche Midi éditeur.
Claude Courtot, professeur, écrivain et ancien compagnon de route des surréalistes, est une personne extrêmement attachante, un chic type. Son regard flâne sur le monde contemporain, avec l’impression sourde d’une rage inassouvie, et son lecteur peut en être si troublé qu’il en oublierait presque d’être insouciant : « Il y a [chez moi] une méfiance naturelle envers tout ce qui, de près ou de loin, sous un déguisement ou un autre, prétend m’arracher au monde réel pour me convier aux délices d’une autre vie. L’au-delà, tout l’au-delà, oui, est dans cette vie ».

- Propagandes silencieuses, Masses, Télévision, Cinéma d’Ignacio Ramonet, Éditions Galilée.
Pour ne plus vivre complètement idiot. Un bon bouquin pour tout savoir sur la « persuasion clandestine » qui voudrait faire de nous des êtres mentalement aliénés, pour nous aider à repérer au quotidien les canaux par lesquels l’idéologie dominante s’insinue en nous, pour contrer la « décérébration collective » qui nous menace, pour éviter de se distraire comme des imbéciles conditionnés en masses festives et, en passant, pour mieux comprendre Apocalypse Now et les épisodes de Colombo.

Lu dans la presse.
Une nouvelle telle qu’on aimerait en voir moins souvent : « Lionel Tate est un petit Américain âgé de treize ans. Il vient d'être jugé — comme un adulte — responsable de meurtre au premier degré par une cour de Fort Lauderdale (Floride). Il risque la détention à vie (sans possibilité de réduction de peine) ou l'exécution par empoisonnement, les deux seuls choix laissés au juge qui devra statuer le 2 mars prochain.
Lionel Tate avait douze ans lorsqu'en juillet 1999 il avait — comme il l'avait vu faire dans des séries télévisées — ceinturé Tiffany Eunick, une fillette de six ans, pour la lancer sur une table où elle s'est fracturé le crâne. Apparemment, Lionel était jaloux de l'attention que la mère de Tiffany accordait à sa fille. Le lendemain de la mort de la fillette, il est allé voir Mme Eunick-Paul — une mère célibataire — pour lui demander s'il pouvait récupérer les jouets de l'enfant. » (L’Humanité du 06 février 2001)

C’est pas dans Libération.
« Il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime » : en réclamant publiquement la libération de Papon, Robert Badinter et Raymond Barre sont logiques avec eux-mêmes : « Que le vieillard Papon sorte ou non de prison, le plus révoltant n’est finalement pas là. Mais dans le fait qu’il ait failli n’être jamais inquiété grâce à d’innombrables complicités de toutes sortes et à tous les niveaux de la machinerie de l’État et des hommes qui la composent. Cette solidarité, d’abord sociale car elle est celle des gens au service d’une même classe, la bourgeoisie, c’est ce qu’expriment Barre et Badinter. Et cela, quelque soient les considérations dont ils l’enrobent ». (Lutte Ouvrière du 26 janvier 2001)